« Ce que je sais de toi » d’Eric CHACOUR

Informations 

Titre : Ce que je sais de toi

Auteur : Eric Chacour

Éditeur : Philippe Rey pour la version brochée et Lizzie pour la version audio

Nombre de pages : 301 pages

Formats et prix : broché 22 € / numérique 13.99 €  / poche  9.50 €  /  audio 22.90 €

Date de publication : 24 août 2023 pour la version brochée

Genre : littérature générale

Résumé

Le récit d’une absence et d’une réconciliation
Le Caire, années 1980. La vie bien rangée de Tarek est devenue un carcan. Jeune médecin ayant repris le cabinet médical de son père, il partage son existence entre un métier prenant et le quotidien familial où se côtoient une discrète femme aimante, une matriarche autoritaire follement éprise de la France, une sœur confidente et la domestique, gardienne des secrets familiaux. L’ouverture par Tarek d’un dispensaire dans le quartier défavorisé du Moqattam est une bouffée d’oxygène, une reconnexion nécessaire au sens de son travail. Jusqu’au jour où une surprenante amitié naît entre lui et un habitant du lieu, Ali, qu’il va prendre sous son aile. Comment celui qui n’a rien peut-il apporter autant à celui qui semble déjà tout avoir ? Un vent de liberté ne tarde pas à ébranler les certitudes de Tarek et bouleverse sa vie.

Mon avis

Mon point sur la narration :

Lu par : Loïc Renard et Alice Le Strat

Durée d’écoute : 6 heures et 27 minutes

J’ai découvert ce texte en version audio et ce choix n’a fait qu’amplifier mon attachement à ce récit. La lecture, posée, habitée, donne vie avec subtilité aux personnages et à leurs dilemmes. On sent dans la voix choisie toute la mélancolie, la chaleur et parfois la tension sourde du roman. Le rythme maîtrisé permet de savourer la beauté de chaque phrase, d’être immergé dans le Caire de l’époque, dans les non-dits familiaux, les regards lourds de sens, les silences éloquents.

L’écoute audio se prête à merveille à l’introspection du personnage principal. Comme lui, nous sommes souvent seuls avec nos pensées, les émotions résonnent plus fort, et certaines scènes prennent une dimension presque cinématographique.

La version audio réserve d’ailleurs une surprise subtile et touchante : à certains moments du récit, la voix du narrateur cède la place à celle d’une narratrice. Cette transition apporte une tonalité nouvelle, presque intime, à ces chapitres particuliers. Sans en dire trop, cette alternance de voix vient souligner avec délicatesse l’évolution du récit, comme si une autre respiration s’invitait entre les pages. Une mise en scène sonore à la fois discrète et émotive, parfaitement en accord avec la sensibilité du roman.

Mon avis sur le roman :

Un roman d’émotion retenue, de révolte sourde et de réconciliation tardive

Dans un Caire vibrant mais corseté par les normes sociales et familiales des années 1980, l’auteur déploie avec finesse l’histoire de Tarek, jeune médecin prisonnier d’un quotidien bien trop lisse pour l’âme qui bout en lui.

Une vie en apparence comblée

Tarek semble tout avoir : un cabinet médical qu’il a repris de son père, une épouse douce, une mère omniprésente mais cultivée et influente, une sœur précieuse, Nesrine, et une domestique fidèle, Fatheya, témoin silencieux des secrets de famille. Chaque personnage semble porteur d’une mémoire, d’un rôle imposé, d’un silence et c’est dans les interstices de ces silences que le roman trouve sa force. Eric les dessine sans juger, avec cette tendresse lucide qui fait toute la richesse humaine de son récit.

Sous cette façade à-priori parfaite se cache un profond sentiment d’étouffement. Son existence, régie par les attentes sociales, les non-dits et les conventions, manque de souffle, de sens, de vérité.

L’ouverture d’un dispensaire dans le quartier du Moqattam devient un tournant. À l’époque du récit, le Moqattam est un quartier populaire en marge du Caire, souvent associé aux plus précaires, à l’économie informelle, à la débrouille du quotidien. Pour Tarek, ce lieu contraste fortement avec le confort bourgeois et les règles tacites de son cercle social d’origine. C’est dans cet environnement rude, mais plus authentique, qu’il retrouve le sens de son métier, l’humanité brute, loin des convenances et des apparences. Le Moqattam devient alors le décor d’une forme de renaissance, une tentative de reconquête de lui-même.

L’amitié, cette faille lumineuse

C’est là aussi qu’apparaît Ali, jeune homme libre et désinvolte, habitant des faubourgs, dont la rencontre bouleverse l’équilibre soigneusement construit de Tarek. Entre les deux hommes se noue une amitié profonde, imprévisible, troublante, qui vient fissurer les murs de la conformité. Comment celui qui n’a rien peut-il révéler autant à celui qui semble tout posséder ?

L’auteur explore avec pudeur mais lucidité le tiraillement intérieur d’un homme écartelé entre devoir et désir, entre loyauté familiale et élan intime. Une tension sourde qui habite tout le roman, jusqu’à l’éclatement, la chute, puis une forme de reconstruction, fragile, tardive, mais essentielle.

Six jours, deux bouleversements

Dans « Ce que je sais de toi », Éric tisse en filigrane un parallèle subtil entre l’intime et l’Histoire. La relation amoureuse entre le narrateur et Mira ne dure que six jours, suspendue dans une forme d’évidence fragile. Cette brève parenthèse fait écho à la guerre des Six Jours, conflit éclair qui opposa en juin 1967 Israël à plusieurs pays arabes, dont l’Égypte. Si cette guerre a bouleversé durablement l’équilibre géopolitique de la région, la passion éphémère entre le narrateur et Mira agit, elle aussi, comme un point de rupture dans la trajectoire du narrateur. La coïncidence des durées n’a rien d’anodin : l’amour, comme la paix, peut être intense, fulgurant… et tragiquement bref.

Une construction désarmante et profondément humaine

Le roman s’articule en trois parties : « Toi », « Moi » et « Nous ». Cette construction reflète subtilement l’évolution de l’intimité et de la conscience du narrateur. La première partie, rédigée à la deuxième personne du singulier, surprend d’emblée. Elle déstabilise : il faut un petit temps d’adaptation pour entrer dans ce « Tu » inhabituel, qui interpelle : est-ce une adresse à soi-même, un dialogue intérieur ou une voix extérieure qui retrace le passé ? Les phrases, d’apparence anodine, ouvrent pourtant sur des questionnements profonds. Eric réussit à faire naître l’émotion sans jamais appuyer le trait, en laissant l’empathie affleurer dans les interstices du récit.

« Les travaux avaient débuté le mois dernier et tu t’enthousiasmais à chaque avancée visible de la construction. Il pouvait même t’arriver d’y prendre part, sous l’œil amusé des habitants qui n’avaient jamais vu un médecin porter des briques de ses propres mains. D’ailleurs, était-ce vraiment le rôle d’un médecin ? Quel praticien digne de ce nom aurait du temps à consacrer à de telles tâches ? »

On ne sait pas encore qui parle, ni à qui, et cette incertitude participe à une tension narrative toute en finesse. Vient ensuite le « Je » dans les deux parties suivantes, plus classiques en apparence, mais qui, à la lumière de ce qui précède, prennent une profondeur émotionnelle nouvelle. Ce glissement progressif du « Tu » au « Je », puis au « Nous », illustre avec élégance un cheminement identitaire et affectif, celui d’un homme qui tente de se dire, de se comprendre et de se relier aux autres.

Une écriture délicate et sensorielle

Eric possède l’art rare de dire beaucoup avec peu. Sa plume, sensible, incarnée et fluide, est empreinte de retenue, d’une grande précision émotionnelle. Certaines phrases résonnent longtemps.

« Chaque heure te séparant d’elle était remplie de mélange d’hébétude un peu naïve et d’attente inquiète propre aux premiers instants d’une relation. »

Eric possède cette faculté de sonder les états intérieurs avec une acuité rare, de mettre en lumière l’invisible, de traduire l’indicible.

Une absence, une chute, une réconciliation

« Ce que je sais de toi » est avant tout le récit d’une absence. Celle d’une partie de soi qu’on tait trop longtemps. D’un amour qu’on ne peut nommer. D’un père qu’on ne comprend qu’après sa perte. Mais c’est aussi un roman de réconciliation : avec ses racines, avec son passé, avec l’enfant qu’on a été et l’adulte qu’on devient malgré soi.

Une lecture intime et profondément humaine

Ce roman laisse une empreinte douce et durable. Il m’a touchée par sa pudeur, sa justesse émotionnelle et par la manière dont il aborde l’absence, l’identité, le silence et la filiation. Ce roman est comme un murmure intérieur qui continue à questionner et à réconforter à la fois.
Je recommande ce roman à celles et ceux qui aiment les histoires sensibles où l’on prend le temps d’observer les gestes, les silences, les regards. Aux curieux ayant envie de découvrir un Caire tout en nuances, aux amateurs d’écritures fines, élégantes et sincères, capables de sonder l’indicible.

« Adolescent, tu te rendais régulièrement au Gezira Sporting Club. On y croisait les bonnes familles de la capitale, celles du moins dont l’entreprise n’était pas passée sous contrôle de l’État. La crainte qu’elles viennent y comploter contre le pouvoir en place avait eu raison de leur carte de membre. Nombre de vos semblables issus de la bourgeoisie syro-libanaise du Caire en avaient fait l’expérience. Dans cette Égypte en ébullition, le métier de ton père offrait une tranquillité d’autant plus précieuse au regard de vos origines étrangères. »

Un grand merci à NetGalley et Lizzie pour cette lecture.

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En bref…

Ce qui m’a poussé à ouvrir ce livre : une amie lectrice m’a parlé de ce roman il y a quelques mois. Curieuse, je me suis lancée dans la version audio… et j’ai été rapidement happée.

Auteur connu : je ne connaissais pas Eric, quelle erreur ! je vais suivre ses publications avec soin. Il tombe directement dans ma liste d’auteurs à suivre.

Émotions ressenties lors de la lecture : tendresse, mélancolie, apaisement. 

Ce que j’ai moins aimé : RAS

Les plus : la plume ! Les personnages, la construction, l’immersion dans l’Égypte des années 80, la fin.

Si je suis une âme sensible : RAS

3 réflexions sur “« Ce que je sais de toi » d’Eric CHACOUR

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