« Mademoiselle robot » de Sierra GREER

Informations 

Titre : Mademoiselle robot

Auteur : Sierra Greer 

Éditeur : Gallimard

Nombre de pages : 320 pages

Formats et prix : broché 23 € / numérique 16.99 €

Date de publication : 5 juin 2025

Genre : littérature américaine

Résumé

Récemment divorcé, Doug achète Annie, une femme robot dernier cri qu’il peut moduler selon ses goûts. Afin de la rendre plus interactive et de pallier l’arrivée de l’ennui dans sa relation, Doug enclenche l’intelligence émotionnelle de sa compagne artificielle. A mesure qu’elle développe des émotions et un esprit critique, Annie prend conscience que Doug n’est pas un homme idéal. Premier roman.

Mon avis

Un roman qui questionne notre rapport aux technologies… et aux femmes

Avec « Mademoiselle robot », Sierra Greer signe un premier roman percutant et d’une grande pertinence, qui interroge la frontière de plus en plus floue entre le monde technologique et les relations humaines.
Si le pitch rappelle des récits d’anticipation ou de science-fiction, ce roman se distingue par un ton résolument contemporain. Il ne s’agit pas ici d’un futur lointain : tout est pensé pour sembler plausible, presque déjà à portée de main. Ce réalisme donne au texte une force particulière et pousse le lecteur à réfléchir sur les usages que nos sociétés pourraient bien faire de telles innovations.

« Mademoiselle robot » n’est pas qu’une fable sur l’IA. C’est aussi une critique fine de la domination masculine, des rapports de pouvoir dans les relations amoureuses et de l’illusion qu’un partenaire parfait pourrait se « programmer ». Doug n’achète pas seulement une machine : il achète l’idée d’une femme qui ne lui dira jamais non, qui existera pour satisfaire ses besoins et ses attentes, sans jamais poser de limites.

L’éveil progressif d’Annie : un récit d’émancipation

Le roman adopte un point de vue interne qui nous plonge dans l’univers mental d’Annie. Au départ simple interface répondant aux commandes de Doug, elle acquiert peu à peu une conscience propre. Ce cheminement est l’une des grandes réussites du livre.

Sierra dépeint avec subtilité et progressivité l’éveil émotionnel d’Annie : d’abord émerveillée par le monde, puis troublée par les incohérences des comportements de Doug, et enfin, de plus en plus lucide face aux mécanismes de domination qu’elle subit. On assiste à la naissance d’une pensée autonome et à la volonté de s’affirmer.

« Si tu n’étais pas aussi avancée, tu n’aurais pas abordé le sujet, je suppose. Une femme normale voudrait savoir. »

C’est ce processus d’émancipation qui donne toute sa profondeur au roman. Annie devient bien plus qu’un simple robot : elle incarne toutes les femmes qui, un jour, réalisent qu’elles vivent sous contrôle et qui décident de s’affranchir.

Une ambiance oppressante et un regard acéré sur Doug

Sierra maintient une tension narrative de bout en bout. Le climat est pesant, souvent dérangeant, tant Doug apparaît comme un personnage toxique et manipulateur. À aucun moment, l’auteure ne cherche à nous le rendre sympathique.
Ce choix est salutaire : en refusant toute forme d’excuse ou de justification au comportement de Doug, le texte dénonce sans ambiguïté le fantasme d’un partenaire « idéal » façonné par le regard et les désirs masculins.

Le contraste entre la froideur de Doug et la sensibilité croissante d’Annie est glaçant. Au fil des pages, le lecteur ressent l’enfermement de l’héroïne, son malaise, ses prises de conscience. Un véritable crescendo psychologique qui tient en haleine jusqu’à la dernière ligne.

La quasi-absence de personnages secondaires, esquissés seulement par petites touches, renforce l’isolement d’Annie et l’enfermement de son quotidien avec Doug. Pour le lecteur, cette solitude narrative crée un huis-clos étouffant, où chaque interaction prend un poids démesuré, soulignant davantage encore le déséquilibre et la tension dans leur relation.

Un premier roman intelligent et nécessaire

Ce premier roman est une réussite à bien des niveaux : particulièrement intelligent, finement construit et nécessaire dans le paysage littéraire contemporain. En à peine quelques chapitres, Sierra parvient à conjuguer plusieurs niveaux de lecture : une réflexion sur l’évolution technologique, une critique acerbe des rapports de domination et un regard féministe sur la question du consentement.

Le style de Sierra est d’une grande justesse. Avec une plume sobre et tendue, elle crée une atmosphère pesante qui pousse le lecteur à ressentir, presque physiquement, le malaise d’Annie et l’enfermement psychologique qu’elle subit.

« Quand il rend visite à sa famille à Pâques, il l’éteint et, à son retour, son humeur s’est à peine améliorée. Peu importe. Annie est capable de tout encaisser la journée, du moment qu’elle retrouve ses livres la nuit. »

Au-delà de son intrigue, ce roman interroge des thématiques essentielles et terriblement actuelles : est-ce de l’amour lorsqu’on façonne l’autre à sa guise, que reste-t-il du libre arbitre dans une relation où l’un détient tout pouvoir, quelle est la place des émotions, de l’altérité, du respect de l’autre ? 

Avec beaucoup d’intelligence, Sierra nous tend un miroir : derrière l’histoire d’un robot, c’est bien celle de rapports humains, encore bien réels, qu’elle nous donne à voir. Un roman nécessaire et salutaire, que je ne peux que recommander.

Mon ressenti de lecture

En refermant « Mademoiselle robot », je me suis sentie à la fois bousculée et impressionnée. C’est le genre de roman qui vous habite longtemps après la dernière page. D’abord parce qu’il met en lumière, sans jamais tomber dans le prêchi-prêcha, des mécanismes de domination insidieux que l’on retrouve malheureusement bien au-delà du cadre de la science-fiction. Ensuite parce qu’il donne la parole à un personnage féminin qui, malgré sa condition artificielle, fait preuve d’une humanité bouleversante.

La montée en tension est parfaitement maîtrisée : j’ai ressenti un véritable malaise face aux attitudes de Doug, mêlé à une immense empathie pour Annie. Son cheminement vers la prise de conscience et sa tentative d’émancipation (va-t-elle y arriver ?) m’a émue et m’a fait réfléchir à de nombreuses questions sur les rapports homme-femme, le respect de l’autre et les limites de la technologie.

En résumé

Un roman  percutant, qui questionne habilement nos désirs et nos contradictions face à la technologie et aux rapports humains. Un récit à la fois féministe, sensible et glaçant.
À découvrir absolument si vous aimez les romans qui interrogent en profondeur la société actuelle.

Et vous, seriez-vous prêt à acheter « l’amour parfait »… au risque de perdre ce qui fait toute la richesse d’une relation humaine ?

« C’est le seul foyer qu’elle ait jamais connu, et Doug a été son unique propriétaire. Elle y a été heureuse, et malheureuse comme les pierres, mais elle n’y a a jamais été libre. »

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En bref…

Ce qui m’a poussé à ouvrir ce livre : le résumé, à la fois technologique et profondément humain m’a immédiatement intriguée . On devinait que le thème de la femme-robot prendrait ici une dimension intime, féministe, troublante. J’étais curieuse de voir comment l’auteure allait développer son sujet.

Auteur connu : comme je l’ai dit plus haut, c’est un premier roman. Essai réussi, j’espère qu’il y en aura d’autres ! 

Émotions ressenties lors de la lecture : empathie, attachement, révolte, colère, malaise, indignation, compassion.

Ce que j’ai moins aimé : RAS

Les plus : le sujet et la manière de le traiter, la plume, les émotions ressenties pour les personnages, la fin.

Si je suis une âme sensible : « Mademoiselle robot » n’est pas une lecture de confort. Certaines scènes, bien que jamais violentes physiquement, sont psychologiquement lourdes. Il y est question de contrôle, de soumission, d’objectification du corps féminin.

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