Informations
Titre : 11 %
Auteur : Maren Uthaug
Éditeur : Gallmeister
Nombre de pages : 384 pages
Formats et prix : broché 24.50 € / numérique 14.99 €
Date de publication : 20 août 2024
Genre : littérature danoise
Résumé
À Copenhague, dans un futur lointain, règne le matriarcat. Si le souvenir du patriarcat habite encore tous les esprits, aujourd’hui seuls 11% des hommes sont maintenus en vie – quota nécessaire au plaisir féminin et au renouvellement de l’espèce –, et parqués dans un centre d’élevage sur l’île de Lolland. L’apparition soudaine d’un jeune garçon bouleverse la vie de quatre femmes, Médée, Wicca, Stille et Ève, forcées de décider de son destin. Chacune d’entre elles devra choisir entre le cœur et la raison, au risque de déstabiliser le nouvel ordre établi. Le nouveau roman de Maren Uthaug est une fable dystopique, résolument provocatrice et malicieuse.
Mon avis
Quand l’utopie féminine révèle ses propres monstres
Et si l’Histoire avait simplement inversé la domination ?
Avec « 11 % », Maren Uthaug signe une dystopie aussi mordante que dérangeante, qui joue avec nos certitudes féministes, nos colères, nos désirs de réparation… pour mieux les fissurer.
Dans un futur impossible à situer, le patriarcat a été renversé. Le matriarcat règne désormais sans partage à Copenhague. Les hommes ? Ils ne sont plus que 11 %, strictement conservés pour la reproduction et le plaisir féminin, parqués dans un centre d’élevage sur l’île de Lolland. Le reste appartient au passé, ou à l’oubli organisé.
Un monde inversé, mais pas apaisé
Le premier choc de « 11 % » tient à son principe : un monde débarrassé des hommes dominants, pensé comme une revanche historique.
Sur le papier, cela pourrait ressembler à une utopie féministe radicale. Dans les faits, Maren démonte très vite cette illusion.
Car ce monde n’est ni doux ni juste. Il est autoritaire, normé et violent dans sa manière de gérer les corps. Simplement, les rôles ont changé. Les hommes sont devenus des ressources biologiques, privées de liberté, de désir propre, d’identité.
Le roman ne célèbre jamais cette société : il la montre, froide, efficace, cruellement logique.
Et c’est là que le texte devient intéressant : « 11 % » ne parle pas tant de genre que de pouvoir.
Qui domine finit toujours par reproduire les mêmes schémas. Peu importe le sexe.
« Même si l’homme libre a tendance à tuer, violer et voler, les choses ont changé. »
Quatre femmes, quatre failles
Le récit s’articule autour de quatre femmes : Médée, Wicca, Stille et Ève.
Quatre figures très différentes qui incarnent chacune une manière d’habiter ou de questionner cette société à laquelle elles appartiennent.
Médée, figure dure, rationnelle, presque inhumaine par moments, est l’incarnation de la loi et de la stabilité. Wicca, plus instinctive, plus sensorielle, agit souvent à contre-courant. Stille, en retrait, observe et doute. Ève, enfin, porte une forme de mémoire, de trouble, de possible transmission.
L’apparition d’un jeune garçon agit comme un révélateur.
Chacune est contrainte de se positionner : obéir au système ou écouter quelque chose de plus intime, plus dangereux aussi.
Ce qui se joue alors n’est pas seulement le sort d’un enfant, mais la capacité de cette société à tolérer l’exception, l’imprévu, l’émotion.
« Toutes portaient au cou une fine chaîne en argent pour se remémorer et rappeler aux autres que quand on laissait faire la nature et la gravitation, c’était l’ovale qui s’imposait toujours. »
Une froideur émotionnelle
Le roman entretient une distance émotionnelle constante avec ses personnages. Maren privilégie clairement l’idée, le concept, la démonstration, au détriment de l’attachement affectif.
Les figures féminines, bien que contrastées et intéressantes, restent souvent difficiles à aimer ou à comprendre intimement. Elles semblent parfois davantage incarner des positions idéologiques que des êtres de chair et de doute.
Cette froideur est un choix narratif assumé. Elle participe à l’atmosphère clinique du roman et renforce l’impression d’un monde déshumanisé, où les émotions sont secondaires face à l’ordre établi.
En revanche, ce parti pris peut créer une frustration : on observe plus qu’on ne partage, on analyse plus qu’on ne ressent.
Une fable provocatrice, jamais confortable
Maren écrit avec une ironie sèche, parfois cruelle, souvent dérangeante.
Le roman assume une provocation frontale : sexualité féminine explicite, hommes réduits à des corps fonctionnels, violence institutionnelle banalisée.
Mais cette provocation n’est jamais gratuite. Elle sert à pousser le lecteur dans ses retranchements.
On rit parfois (jaune).
On se sent complice, puis honteux la minute suivante.
On acquiesce, avant de douter furieusement.
« 11 % » ne cherche pas à opposer une domination à une autre. Le roman ne proclame pas que les femmes gouverneraient mieux, mais questionne les effets du pouvoir lorsqu’il n’est plus contenu par aucun garde-fou.
Un roman qui dérange… et c’est sa force
Il y a de grandes chances que ce roman vous mette mal à l’aise, vous choque, vous agace. Certaines scènes sont volontairement brutales et l’absence de figures masculines pleinement incarnées peut frustrer.
Mais c’est précisément ce malaise qui fait la puissance du roman.
« 11 % » ne propose pas un avenir souhaitable. Il propose un miroir déformant et terriblement efficace.
Un malaise volontaire
Du début à la fin, « 11 % » installe un malaise qui ne se dissipe jamais.
Ce malaise est volontaire : le roman ne cherche ni à rassurer ni à offrir de soupape émotionnelle. Il pousse le lecteur à rester dans l’inconfort, à accepter de ne pas savoir où se situer, ni moralement ni émotionnellement.
C’est une lecture qui oppresse davantage qu’elle n’apaise et qui peut laisser une impression persistante de trouble bien après la dernière page.
Ce que cette lecture m’a laissée
Cette lecture m’a laissée dans un état de trouble plus intellectuel qu’émotionnel. J’ai moins apprécié « 11 % » que « Une fin heureuse », lu récemment, notamment parce que je suis restée à distance des personnages et de leurs trajectoires. Pourtant, le roman m’a marquée par la réflexion qu’il impose et par le malaise persistant qu’il installe, sans jamais chercher à l’atténuer. Ce n’est pas un livre que l’on referme avec le sentiment d’avoir aimé, mais plutôt avec celui d’avoir été bousculée, confrontée à des questions inconfortables qui continuent de travailler longtemps après la dernière page.
Le pouvoir reste le pouvoir
« 11 % » est une dystopie féministe intelligente et profondément dérangeante, qui dissèque notre rapport collectif au pouvoir et à la violence qu’il engendre.
Un roman à lire sans chercher le confort, mais avec l’envie d’être bousculé, provoqué, mis en déséquilibre.
Parce que parfois, la littérature ne sert pas à rassurer, mais à fissurer les certitudes…Et Maren Uthaug le fait avec une redoutable maîtrise.
« Au fil des années, la plupart des maisons avaient pourtant disparue, laissant derrière elles des ruines qui rappelaient à toutes ce qui ne devait jamais se reproduire. »
#MarenUthaug #Gallmeister
En bref…
Ce qui m’a poussé à ouvrir ce livre : j’ai découvert Maren il y a peu, et j’ai beaucoup aimé sa plume. Le résumé de « 11% » promettait une lecture audacieuse.
Auteur connu : retrouvez ma chronique de « Une fin heureuse » que j’ai lu il y a quelques jours.
Émotions ressenties lors de la lecture : malaise, colère, angoisse, peur, fascination.
Ce que j’ai moins aimé : RAS
Les plus : le sujet, la réflexion, les personnages, la plume, l’empreinte que laisse ce roman.
Si je suis une âme sensible : ce livre n’est pas à mettre entre toutes les mains. La sexualité est explicite, la violence institutionnelle banalisée et certaines scènes peuvent heurter par leur froideur et leur cynisme.

