« La disparition d’Hervé Snout » d’Olivier BORDACARRE

Informations 

Titre : La disparition d’Hervé Snout

Auteur : Olivier Bordaçarre

Éditeur : Gallimard

Nombre de pages : 368 pages pour le broché

Formats et prix : broché 21 € / poche 9.50 €  / numérique 14.99 €

Date de publication : 9 janvier 2025

Genre : polar

Résumé

Odile Snout s’affaire dans la cuisine de son pavillon cossu. Le bœuf bourguignon qui a mijoté toute la journée est prêt. Avec ses deux adolescents, elle attend son époux, dont on fête ce soir-là l’anniversaire. Les heures passent et Hervé ne se montre pas. Quelque chose ne tourne pas rond chez les Snout et l’angoisse commence à monter.
Le lendemain matin, à la gendarmerie, le lieutenant ne semble pas inquiet. Hervé finira par rentrer chez lui, et reprendre son travail.
On a bien le droit de disparaître.
Dans sa langue incisive d’où émerge une poésie du quotidien, Olivier Bordaçarre brosse une analyse glaçante du monde du travail, du couple et de la famille.

Mon avis

Un quotidien sous tension

Odile Snout s’active en cuisine, les enfants attendent, les minutes s’étirent, puis les heures : où est Hervé ? Ce soir-là, tout devait être ordinaire. Et pourtant, c’est le basculement. Le roman s’ouvre dans une atmosphère familière, presque banale, et c’est là toute la force de l’auteur : transformer l’ordinaire en inquiétude sourde.

Ce roman est construit comme une spirale : on descend lentement, palier après palier, dans ce qui ronge les personnages. La tension ne vient pas d’un mystère à élucider, mais d’un malaise qui monte, de l’intérieur. Ce n’est pas une enquête, c’est une dissection.

Une plume incisive

Et Olivier a le scalpel précis. Sa plume est directe, parfois sèche, mais jamais froide. Les mots sont ciselés, lourds de sous-entendus, de souffrance contenue. Il y a aussi, dans les détails du quotidien, une poésie discrète, presque triste, qui contraste avec la brutalité de certains passages. Il met en lumière les failles du couple, les dysfonctionnements familiaux, les silences, les routines qui étouffent… et la question lancinante : quand a-t-on cessé d’exister aux yeux des autres ?

« L’adulte reste, assume, s’enracine dans la raison : c’est l’enfant qui part, l’enfance qui déserte le cœur des êtres installés. »

Un roman riche, social, humain

Ce roman aborde bien plus que la disparition d’un mari. Il questionne tout un système, toute une société.

• Le couple et la famille

Les Snout, en apparence, c’est la famille type : deux ados, un pavillon, une routine. Mais derrière les rideaux tirés, il y a l’usure, le silence, les rôles figés. Le couple n’existe plus que par habitude. La disparition d’Hervé agit comme un révélateur.

Le droit de disparaître 

La gendarmerie le rappelle froidement à Odile : on a bien le droit de disparaître. Et si Hervé n’avait pas disparu par accident ou sous la contrainte, mais simplement par choix ?

• L’enfance maltraitée et la reconstruction

L’un des personnage a grandi dans le silence, avec la honte pour seul bagage. Il y a quelque chose de profondément juste et douloureux dans la manière dont Olivier évoque l’Aide Sociale à l’Enfance, les enfances qui déraillent et la difficulté de se construire malgré les cicatrices.

• Le harcèlement au travail

L’entreprise dans laquelle travaille Hervé n’est pas qu’un abattoir au sens propre. C’est aussi un abattoir symbolique. Les humiliations, le management par la terreur, la perte d’identité : tout y est. Certains employés n’y travaillent pas, ils s’effacent un peu plus chaque jour. 

« La disparition d’Hervé Snout » est un roman social autant qu’un roman noir. Une peinture au vitriol de cette société « de la performance », qui n’offre plus d’échappatoire à ceux qui doutent, faiblissent ou simplement rêvent d’autre chose.

Les abattoirs, ou le malaise à l’état brut

Il faut le dire : de nombreuses scènes se déroulent dans un abattoir et elles sont extrêmement difficiles. Le réalisme cru, les odeurs, les bruits, la souffrance animale… Tout y est.
J’ai eu, par moments, le sentiment de regarder une vidéo de L214. Je me suis sincèrement demandé pourquoi autant de détails, pourquoi cette violence, cette insistance. Plusieurs fois, j’ai dû poser le livre, n’arrivant plus à encaisser.

« Son regard échoue subrepticement sur les yeux de la vache. Les globes oculaires cernés de cils blonds semblent secoués de spasmes, appellent dans toutes les directions, les paupières ne se ferment plus. Des larmes coulent. La vache pleure. On dirait qu’elle supplie. »

Et puis il y a eu cette phrase, simple et foudroyante :

« Si les abattoirs avaient des murs de verre, tout le monde serait végétarien. »

Là, j’ai compris.
Cette horreur n’est pas gratuite. Elle fait miroir. Elle dit l’inhumanité d’un système qui broie, les bêtes comme les hommes. Elle nous confronte à une violence qu’on préfère ignorer. Et elle éclaire, d’une certaine manière, la fin du roman.
Sans trop en dire, disons que le dernier quart fait écho à tout cela. Et que, paradoxalement, cette fin m’a paru plus supportable que le reste. Peut-être parce que la justice y trouve enfin un chemin.

Un malaise nécessaire

J’ai ressenti un malaise diffus, une empathie grandissante et un écho profond à certaines angoisses contemporaines. Ce n’est pas un roman de suspense à rebondissements, mais un livre qui vous habite, vous interroge.
Je suis sortie de cette lecture bien secouée, triste aussi, mais admirative devant la justesse du propos.

Et j’ai vraiment kiffé la fin ! Vous ne devinerez jamais comment Hervé Snout a disparu, mais perso, je me suis régalée ! N’insistez pas, vous devrez lire ce roman pour le savoir, et croyez-moi, vous ne le regretterez pas !

« Odile et Hervé Snout s’aiment-il moins qu’avant ? Non, bien sûr, mais le temps passe sur les couples et les use plus rapidement qu’un galet de granit. Le granit, lui, s’érode, s’arrondit, se polit, s’embellit, tandis que le couple se creuse, perd ses rondeurs au profit d’angles et d’arêtes tranchantes, gagne en rugosité, se ride, vieillit. »

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En bref…

Ce qui m’a poussé à ouvrir ce livre : ce roman m’a été chaudement conseillé par Anne-Laure, de la Librairie de Paris. Étant toujours de bon conseil, j’y suis allée les yeux fermés !

Auteur connu : je ne connaissais pas du tout Olivier. Je l’ai rencontré aux Quais du Polar il y a deux ans.

Émotions ressenties lors de la lecture : admiration, curiosité, peur, angoisse, dégoût, effroi, satisfaction.  

Ce que j’ai moins aimé : peut-être un peu trop de scènes compliquées (pour moi) avec les animaux. 

Les plus : la tension psychologique, la pertinence de la critique sociale, l’ambiance, la plume, la fin !

Si je suis une âme sensible : il n’y a pas de violence graphique ni de scènes choquantes, mais une noirceur latente. Et attention aux scènes dans l’abattoir…

 

7 réflexions sur “« La disparition d’Hervé Snout » d’Olivier BORDACARRE

  1. Bonjour Sonia,

    Je vais réfléchir à deux fois. En ce moment je lis « Pour que chantent les montagnes » de Nguyen Phan Qué Mai, sur le Vietnam Nam en 1972. Une grand-mère qui raconte son histoire du temps des Français, suivi des Japonais puis des Américains, sans oublier les guerres qui s’en sont suivies.

    Je commence depuis hier.

    Je te donnerai un résumé à la fin de ma lecture.

    Bon week-end et gros bisous

    Domi Benetti

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    1. Coucou Domi, ton livre a l’air passionnant et très fort en émotions, j’ai hâte de lire ton retour une fois ta lecture terminée ! Merci de partager ça avec moi, c’est toujours un plaisir d’échanger. Je te souhaite une très belle journée. Gros bisous

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  2. Belle chronique mais ça n’a pas fonctionné pour moi au point que je n’ai pas écrit de chronique et c’est rare. Mais je reconnais qu’il reste malgré tout en mémoire. La fin et les préconisations directes à ne plus consommer de viande m’ont paru amoindrir l’intérêt littéraire. Un livre qui avait eu beaucoup de défenseurs pour le prix Orange 2024 et autant contre. Chacun se fera son avis…

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    1. Je comprends tout à fait ton ressenti. C’est vrai que c’est un roman clivant et qu’il peut dérouter. Pour ma part, même si certaines scènes m’ont mise très mal à l’aise, j’ai trouvé que cette noirceur et cette radicalité servaient justement le propos. Mais comme tu le dis, chacun se fera son avis et c’est ce qui rend ce genre de lecture intéressante à partager. Je te remercie pour ton commentaire enrichissant. Tu mets bien en lumière ce qui peut diviser autour de ce roman.

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    1. Oui, tu as totalement raison, c’est un roman atypique, qui sort des sentiers battus ! J’ai aussi été marquée par cette noirceur teintée de cynisme, ça lui donne une force particulière. Et même si certaines scènes m’ont vraiment bousculée, j’ai trouvé l’ensemble incroyablement percutant. Une belle découverte !

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