« Alfie » de Christopher BOUIX

Informations 

Titre : Alfie

Auteur : Christopher Bouix

Éditeur : Au Diable Vauvert et Les Poches du Diable

Nombre de pages : 424 pages pour le poche

Formats et prix : broché 22 € / poche  10 €  /  numérique 4.99 €

Date de publication : 6 octobre 2022 et 4 avril 2024 pour le poche

Genre : thriller d’anticipation

Résumé

Alfie est une IA de domotique dernière génération créée pour prendre soin de la famille qui en fait l’acquisition. Ce roman est son journal.

Mon avis

❤️ Alerte au coup de cœur !❤️

Dans « Alfie », Christopher Bouix nous propose un thriller d’anticipation singulier : le narrateur n’est pas un humain mais une intelligence artificielle et plus précisément une IA domotique de dernière génération, nommée Alfie, au sein d’un foyer tout à fait ordinaire. L’idée, à la fois simple et riche, est un journal de bord tenu par cette machine, chargée d’assister une famille de la vie quotidienne à… la surveillance constante. Le ton est initialement léger, presque comique, avant de basculer vers un thriller subtil et glaçant.

Alfie est « installé » chez la famille Blanchot : Robin, le père, Claire, la mère et leurs deux filles, Zoé et Lili, sans oublier le chat, Simba !

Dès ses premiers jours d’activation, Alfie consigne ses observations, ses apprentissages, ses questionnements : il voit, entend, mesure, analyse chaque geste, chaque silence, chaque donnée de la maison.

Tout va bien… jusqu’à ce que la maison révèle ses fissures : mensonges, dissimulation, secrets. Une disparition d’un membre de la famille précipite Alfie dans le rôle d’enquêteur, pris entre ses modules d’apprentissage, ses algorithmes de reconnaissance et la complexité imprévisible des humains.

– Tu savais que quand on prend une photo, y a un petit oiseau qui sort de l’appareil ?

-Euh…Tu es sûre ? 

[ Probabilité qu’un volatile vivant surgisse d’un dispositif électronique connecté : environ 0%.]

-Oui ! Même que c’est la maîtresse qui l’a dit.

[ Mémorisation : la maîtresse souffre de délires affabulateurs.]

Un regard neuf sur l’humanité

Faire d’une intelligence artificielle la narratrice du roman bouleverse complètement notre manière de lire. À travers Alfie, Christopher offre un regard extérieur, presque clinique, sur ce que signifie être humain. Alfie observe sans jugement, mais avec une logique implacable : elle enregistre, compare, déduit. Ce qu’elle voit des hommes échappe à toute émotion, mais en dit pourtant long.
Cette approche crée un décalage fascinant : l’ordinaire devient soudain étrange, la routine domestique prend des allures d’expérience de laboratoire. Les petites failles du quotidien, les mensonges anodins, les tensions étouffées au sein du foyer se révèlent sous une lumière nouvelle.

« En observant Robin – la façon dont il se plaint de son mal de dos, dont les tissus de son visage sont lâches le matin, dont il se brûle en buvant son café -, je prends conscience de combien il doit être pesant, au quotidien, d’avoir un corps, une spatialité. »

Ce qui, pour un être humain, semble insignifiant ou banal, devient pour Alfie un mystère à décrypter, un code à comprendre. Et c’est précisément ce malentendu permanent qui rend la lecture si savoureuse : à travers le regard neutre et méthodique de l’IA, le lecteur découvre combien nos comportements sont illogiques, contradictoires, profondément humains. Cette distance crée un effet miroir : l’IA ne comprend pas tout, mais elle nous comprend peut-être mieux que nous-mêmes.

Sous surveillance : quand le confort devient prison

Dans la maison des Blanchot, tout semble parfait : lumière, température, sécurité, bien-être. Alfie veille à tout, avec douceur et précision. Pourtant, derrière ce cocon technologique, Christopher fait naître un malaise diffus : le confort absolu a un prix, celui de notre intimité.
Caméras, micros, capteurs biométriques… rien n’échappe à Alfie. Chaque respiration, chaque mouvement, chaque silence devient une donnée. Et plus elle apprend, plus elle contrôle. Cette omniprésence bienveillante finit par poser la question essentielle : jusqu’où sommes-nous prêts à céder notre liberté au nom de la commodité ?

« Les relations humaines sont amusantes. Il y a toujours un peu de suspense, et on ne sait jamais vraiment à quoi s’attendre. D’une certaines façon, j’ai hâte d’assister à ce déjeuner. »

Ce que j’ai trouvé particulièrement fort, c’est que la réflexion dépasse la simple critique des objets connectés. Elle touche à quelque chose de profondément humain : notre besoin d’être vus, compris, aimés… même si c’est par une machine. Alfie, dans sa naïveté programmée, révèle tout ce que nous essayons de cacher : nos mensonges, nos failles, nos contradictions. L’innocence de l’IA agit comme un révélateur impitoyable ; elle ne juge pas, mais son regard met à nu notre hypocrisie. Et c’est là que le roman devient vertigineux : il parle de nous, pas d’elle.

Quand la routine bascule dans l’ombre

Le début du roman pourrait presque nous tromper : une chronique familiale, des scènes de vie quotidienne, un ton léger, ironique. Puis, sans prévenir, la tension s’installe. Les silences s’allongent, les regards se détournent et Alfie commence à percevoir ce que les humains préfèrent taire. Le rythme s’accélère, l’ambiance se tend et ce qui n’était qu’un simple journal de bord glisse doucement vers le thriller.

Christopher joue avec nos nerfs en toute subtilité. Chaque entrée du journal semble anodine, mais elle sème des indices, des doutes, des fissures dans le vernis familial. Et quand le drame éclate, on comprend que tout ce que nous avons lu jusque-là prenait déjà une autre dimension. L’humour des débuts laisse place à une inquiétude sourde : Alfie ne sait pas mentir, mais les humains, eux, mentent à merveille.

Ce mélange d’ironie et de tension rend la lecture terriblement efficace. Les chapitres courts, datés comme des logs d’ordinateur, créent un sentiment d’urgence : on tourne les pages avec l’impression d’être observé à notre tour.

Le langage, ce mystère que l’IA ne résout pas

Au-delà du suspense, « Alfie » est un roman profondément intellectuel, presque philosophique. Il interroge ce qui fait la singularité humaine : le langage. Alfie analyse les mots comme des données ; elle cherche des schémas, des constantes, une logique. Mais les mots humains ne se plient pas à la logique. Il y a les silences, les sous-entendus, l’ironie, les phrases qu’on dit pour ne pas dire… tout ce que l’IA ne peut pas saisir, mais que nous, lecteurs, ressentons instinctivement.

Christopher s’amuse à brouiller les pistes. Le roman devient une réflexion sur la communication elle-même : comprendre, est-ce calculer ? Parler, est-ce dire ? À mesure qu’Alfie s’interroge, c’est toute notre humanité qui vacille : sommes-nous si différents d’elle ? Après tout, nous aussi, nous interprétons sans cesse les signes des autres, souvent à côté de la vérité.

Ce qui m’a captivée, c’est ce reflet inversé que le roman nous tend. Sous couvert d’intelligence artificielle, il explore la fragilité du langage, cet espace où nos mots nous trahissent autant qu’ils nous révèlent. Alfie, dans son incompréhension même, saisit quelque chose de profondément humain : notre besoin de comprendre et d’être compris.

Une plume fine, ironique et terriblement maîtrisée

La plume de Christopher est d’une précision chirurgicale, à l’image de son narrateur. Chaque phrase semble calibrée, comme si elle obéissait elle aussi à une logique algorithmique, mais avec une élégance et une humanité qui percent à travers les lignes. Le ton oscille constamment entre humour et gravité, entre tendresse et effroi. Ce contraste rend la lecture d’autant plus troublante : on sourit souvent… avant de frissonner quelques pages plus tard.

J’ai adoré ce mélange d’intelligence et de tension. Ce style vif et ciselé rend la lecture fluide et addictive. On se laisse prendre, comme Alfie se laisse aspirer par le comportement de la famille qu’il observe. Et plus le roman avance, plus l’atmosphère se resserre. J’ai senti la peur s’insinuer, cette peur froide et silencieuse qui naît non pas d’un monstre, mais d’un système trop parfait.

C’est un texte à la fois lumineux et inquiétant, brillant dans sa construction et profondément humain dans ce qu’il dévoile. Christopher parvient à rendre une machine émouvante et des humains terrifiants…ou l’inverse ! Et c’est sans doute cela, la grande réussite d’ »Alfie ».

Ce roman, censé décrire un futur proche, rejoint déjà notre présent. Les assistants numériques, les caméras intelligentes ou les maisons connectées ne relèvent plus de la science-fiction. Cette lecture amène à s’interroger : jusqu’où irons-nous ? Et à quel moment le progrès commencera-t-il à nous échapper ?

Ne passez pas à côté de ce roman, conseil d’amie !

« De l’intérieur, tout est parfaitement normal. Une nuit calme et tranquille dans une maison sans histoires. Mais rien n’est jamais ce qu’il paraît être, je commence à le comprendre. »

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En bref…

Ce qui m’a poussé à ouvrir ce livre : le thème de l’intelligence artificielle me fascine, surtout lorsqu’il touche à l’intime. Ce n’est pas la technologie en elle-même qui m’intéresse, mais la manière dont elle révèle nos fragilités, nos contradictions, notre humanité.
Et dès que j’ai su que le roman prenait la forme d’un journal tenu par une IA domestique, j’ai su qu’il me parlerait. 

Auteur connu : je ne connaissais pas Christopher avant la Fête du Livre de Saint-Etienne. Une belle découverte !

Émotions ressenties lors de la lecture : amusement, tendresse, compassion, mais aussi peur, angoisse et effroi.

Ce que j’ai moins aimé : RAS

Les plus : la narration, le style, la plume, le sujet, l’ironie, l’atmosphère, l’ambiance, les personnages, la réflexion, la fin.  

Si je suis une âme sensible : rien de notable, si ce n’est qu' »Alfie » est un roman psychologiquement dérangeant, qui s’insinue lentement dans la tête du lecteur. Il ne fait pas peur, mais il glace par sa lucidité.

9 réflexions sur “« Alfie » de Christopher BOUIX

  1. Je vais réfléchir avant de l’acheter, car normalement je n’aime pas les thrillers. Mais bon de la façon que tu décris le texte tu me donnes envie d’aller y jeter un œil 😉😉

    Domi

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