« Les enfants endormis » d’Anthony PASSERON

Informations 

Titre : Les enfants endormis

Auteur : Anthony Passeron 

Éditeur : Globe et le Livre de Poche

Nombre de pages : 256 pages en poche

Formats et prix : broché 20 € / poche 8.40 €  /  numérique 7.99 €

Date de publication : 25 août 2022 pour le broché et 6 mars 2024 pour le poche 

Genre : autobiographie

Résumé

Quarante ans après la mort de son oncle Désiré, Anthony Passeron décide d’interroger le passé familial. Évoquant l’ascension de ses grands-parents devenus bouchers pendant les Trente Glorieuses, puis le fossé grandissant apparu entre eux et la génération de leurs enfants, il croise deux histoires : celle de l’apparition du sida dans une famille de l’arrière-pays niçois – la sienne – et celle de la lutte contre la maladie dans les hôpitaux français et américains.
Dans ce roman de filiation, mêlant enquête sociologique et histoire intime, il évoque la solitude des familles à une époque où la méconnaissance du virus était totale, le déni écrasant, et la condition du malade celle d’un paria.

Mon avis

❤️ Alerte au coup de cœur !❤️

Quel roman ! 

Un récit entre mémoire intime et Histoire collective

« Les enfants endormis » est un roman qui frappe par sa sobriété, son intensité émotionnelle et la justesse de son regard sur une époque que beaucoup ont préféré taire. Anthony Passeron y mêle l’histoire de sa propre famille à celle d’un drame collectif : l’apparition du sida dans la France des années 1980. Ce roman de filiation explore avec pudeur les zones d’ombre d’un passé longtemps enfoui, tout en donnant voix à une génération de malades trop souvent réduite au silence.

La mémoire familiale au cœur du récit

Au centre du livre se trouve Désiré, l’oncle de l’auteur. Fils de bouchers dans un village de l’arrière-pays niçois, il grandit dans une famille marquée par la réussite modeste des Trente Glorieuses. Ses parents incarnent une époque où le travail, la stabilité et les valeurs traditionnelles sont des repères solides. Mais Désiré s’émancipe de ce cadre et s’éloigne de cette vie bien tracée. Quand le sida s’invite dans son existence, la maladie devient un sujet tabou. Le silence s’installe, nourri par la honte et l’incompréhension.

Anthony raconte cette histoire familiale avec une retenue bouleversante. Il ne cherche pas à reconstruire une légende familiale embellie. Au contraire, il met en lumière les tensions, les malaises, les fossés générationnels. Ce faisant, il montre comment un drame individuel peut révéler la fragilité d’un équilibre familial tout entier.

Un double fil narratif d’une grande précision

L’une des grandes forces de ce roman réside dans sa construction. L’auteur alterne entre le récit intime, celui de Désiré et de ses proches, et une reconstitution documentée de l’évolution de l’épidémie de sida. Ces chapitres consacrés aux débuts de la maladie dans les hôpitaux français et américains apportent un éclairage scientifique et historique essentiel. Ils montrent l’ampleur de l’inconnu auquel les médecins et chercheurs étaient confrontés et l’impuissance d’une société entière face à un virus mal compris.

Cette alternance est régulière, presque métronomique : un chapitre scientifique, puis un chapitre familial, et ainsi de suite. Ce rythme évoque pour moi le sablier de la vie qui s’écoule lentement mais sûrement, la vie de Désiré qui s’amenuise page après page. Cette structure répétée crée une tension sourde, un sentiment d’inéluctable, comme si le destin de l’oncle était scandé par cette succession de chapitres.

Cela peut donner l’impression d’un récit moins « souple » que d’autres romans contemporains. Mais ce choix narratif assumé participe entièrement à la singularité et à la force de ce livre.

Ce va-et-vient entre la sphère privée et la sphère publique donne au livre une épaisseur remarquable. L’histoire de Désiré prend place dans une toile de fond plus large, celle d’une époque où la peur, les préjugés et la méconnaissance dominaient. Cette structure renforce la portée du récit.

Une écriture sobre et puissante

La plume d’Anthony Passeron se distingue par sa sobriété. Elle est dépouillée, précise, mais jamais froide. Chaque mot semble choisi avec soin, chaque phrase porte en elle une intensité contenue. L’auteur ne cherche pas à provoquer l’émotion : il la laisse venir naturellement, à travers les silences, les gestes, les non-dits. Les scènes familiales, souvent marquées par la gêne ou l’impuissance, sont particulièrement fortes. Elles disent beaucoup sur la société d’alors, sur l’incapacité à nommer la maladie, à en parler ouvertement.

Cette écriture, à la fois pudique et lucide, donne au roman une tonalité très particulière : une émotion sourde, constante, qui ne cherche jamais à submerger le lecteur mais s’installe durablement.

« La drogue qui manque, la drogue qui soulage, la drogue qui coûte, la drogue qui réchauffe, la drogue qui…tout. La drogue point barre. La drogue et puis plus rien. La drogue et puis la mort. »

Une réflexion sur le silence et la transmission

En racontant l’histoire de son oncle, Anthony ne règle pas de comptes. Il n’accuse pas. Il raconte, tout simplement. Ce geste d’écriture est en soi un acte de transmission. Pendant des années, cette histoire est restée enfouie, parce qu’elle faisait mal, parce qu’elle dérangeait, parce qu’elle rappelait une époque où la maladie faisait peur et où ceux qui en étaient atteints étaient rejetés. Ce roman permet de rompre ce silence, avec douceur et dignité.

Il ne s’agit pas seulement d’un témoignage familial, mais d’une réflexion plus large sur la manière dont la société gère ce qu’elle ne comprend pas. Le sida, dans les années 80, était entouré de préjugés violents. En redonnant à Désiré son humanité et son individualité, l’auteur rend aussi hommage à une génération oubliée.

« Le virus la ramenait à tout ce dont elle avait tâché de s’extraire. Il était parvenu à contrarier la trajectoire qu’elle s’était efforcée de suivre depuis l’Italie. Un micro-organisme, surgit d’on ne sait où, réussissait à enrayer une longue histoire d’ascension sociale, une lutte pour devenir quelqu’un de respecté. Il suscitait des sentiments de honte, d’exclusion et d’humiliation qu’elle s’était juré, il y a longtemps, de ne plus jamais revivre. »

Une lecture exigeante mais essentielle

Ce livre n’est pas d’une lecture légère. Les passages documentaires, parfois techniques, demandent une attention particulière. Ils peuvent sembler abrupts à côté des moments intimes. Mais ils sont nécessaires pour comprendre le contexte dans lequel s’inscrit cette histoire. Le texte porte en lui une tension entre émotion et rigueur, entre mémoire et savoir. C’est cette tension qui en fait toute la force.

J’ai grandi dans cette génération marquée par l’ombre du sida. Cette époque fait partie de ma mémoire personnelle. C’est sans doute pour cela que ce roman m’a particulièrement touchée. Les chapitres consacrés à la science, à la recherche, aux tâtonnements des médecins et chercheurs ont résonné avec mes propres souvenirs. Moi qui ai lu plusieurs ouvrages sur cette période, notamment « Plus grands que l’amour » de Dominique Lapierre, j’ai retrouvé dans ces pages le souffle d’une époque où la peur et la course contre la montre dominaient tout. Ces passages ne m’ont pas semblé froids, bien au contraire : ils m’ont émue par leur justesse et leur vérité.

En refermant ce roman, j’ai ressenti une profonde émotion. Ce n’est pas une tristesse spectaculaire, mais une émotion lente, grave, qui s’installe et reste. J’ai été touchée par la pudeur de ce récit, par ce qu’il dit des familles, de la honte, des silences. « Les enfants endormis » est un livre qui oblige à regarder en face une époque que beaucoup ont préféré taire.

Un livre qui donne une voix au silence

« Les enfants endormis » est un roman d’une grande dignité. Anthony Passeron parvient à mêler l’histoire intime de sa famille à la mémoire collective d’une crise sanitaire et humaine majeure. Ce texte est à la fois un hommage, un récit de filiation et une page d’Histoire. L’auteur donne une voix à une génération de malades souvent réduits au silence, tout en rendant hommage aux familles et aux soignants qui ont vécu cette époque dans l’ombre. Les passages documentés sur la recherche médicale sont particulièrement éclairants et offrent un regard sensible sur les débuts de l’épidémie.

C’est une lecture qui demande une certaine disponibilité émotionnelle, mais elle est profondément marquante. Ce livre ne se contente pas de raconter, il transmet. Et longtemps après avoir tourné la dernière page, Désiré continue d’exister dans la mémoire du lecteur.

« Le sida ne voulait rien savoir. Il se jouait de tout le monde : des chercheurs, des médecins, des malades et de leurs proches. Personne n’en réchappait, pas même le fils préféré d’une famille de commerçants de l’arrière-pays. »

#Lesenfantsendormis   #AnthonyPasseron 

En bref…

Ce qui m’a poussé à ouvrir ce livre : la chaude recommandation d’Elodie, la libraire de la Librairie de Paris ! Et le résumé. Moi qui apprécie les romans mêlant science ou médecine, je ne pouvais pas faire fausse route !

Auteur connu : j’ai pu rencontrer Anthony lors de la Fête du Livre de Saint Etienne il y a quinze jours. 

Émotions ressenties lors de la lecture : passion, empathie, envie, curiosité, mais aussi de l’incompréhension et de la colère face aux réactions de certaines personnes (soignants ou non) à l’égard des malades.

Ce que j’ai moins aimé : RAS

Les plus : la justesse de l’écriture, la construction, la puissance du témoignage, les détails scientifiques, le regard sur les débuts de l’épidémie, les émotions. 

Si je suis une âme sensible : Il est important de préciser que ce roman aborde des thèmes lourds : la maladie, la dégradation physique liée au sida, la stigmatisation sociale, le rejet, la honte et la mort. Même si Anthony Passeron fait preuve d’une grande pudeur, certaines scènes sont bouleversantes. Ce n’est pas un livre à lire à la légère.

5 réflexions sur “« Les enfants endormis » d’Anthony PASSERON

  1. Bonjour Sonia. Je comprends ton ressenti. Effectivement beaucoup ont caché leur maladie. Ma sœur avait un ami avec lequel elle sortait pour s’amuser. Suite au décès de sa mère il a sombré dans la dépendance de la drogue et à attrapé cette foutue maladie. Il est décédé il y a 2 ou 3 ans car les traitements l’ont aidé à tenir. Mais ma fille qui l’a côtoyé à son travail me disait que dans les derniers temps il avait beaucoup changé et attrapait tout ce qui traîne. Ton résumé me donne envie de lire ce livre.

    Merci et bonne fin de journée.

    Domi

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