Informations
Titre : Le crépuscule de la Veuve blanche
Auteur : Cyril Carrère
Éditeur : Denoël
Nombre de pages : 395 pages
Formats et prix : broché 22 € / numérique 15.99 €
Date de publication : 8 octobre 2025
Genre : thriller
Résumé
Rien ne sert de mourir, il faut savoir disparaître.
Un youtubeur suscite l’engouement en remettant en lumière l’histoire de la Veuve blanche, une tueuse en série aujourd’hui disparue qui a terrorisé Tokyo au début des années 2000.
Lorsque Junichi Kudo, détective privé dont le destin a été broyé par cette femme, apprend que d’autres crimes ont été commis selon le même modus operandi, il décide d’enquêter. Il s’engouffre seul dans le monde des « évaporés », où la Veuve blanche pourrait avoir trouvé refuge. Bientôt, il disparaît à son tour.
Hayato Ishida et Noémie Legrand, de la cellule Sakura, partent sur ses traces. Ils plongent dans les méandres d’un Japon fracturé et mettent au jour un puzzle funeste, où les fantômes d’hier continuent de hanter le présent.
Mon avis
« Rien ne sert de mourir, il faut savoir disparaître. » Jean Baudrillard
Cette phrase, que le lecteur découvre en début de roman, résume à merveille l’atmosphère que l’on va trouver entre les pages de ce nouveau récit de Cyril.
Un voyage au cœur du Japon, entre ombres et disparitions
Venez avec moi, je vous embarque pour un voyage fascinant au cœur du Japon, à la fois moderne et ancestral, lumineux et terriblement sombre.
Cyril Carrère, auteur français expatrié au Japon, connaît son pays d’adoption comme peu d’étrangers le peuvent. Il en restitue les contrastes avec justesse : la frénésie des mégapoles, la solitude des individus, la pression sociale et ce besoin viscéral de disparaître.
« Ils étaient installés dans un de ces petits bistrots typiques, coincés sous les rails de la gare de Shimbashi, où le fumet des grillades et des plats en sauce se mélangeait aux relents d’alcool bon marché. »
Ce roman est la suite des enquêtes de la cellule Sakura (cf. « La colère d’Izanagi »), mais il peut se lire indépendamment. Dès les premières pages, Cyril nous facilite d’ailleurs la plongée dans son univers : il reprend la liste des personnages et ajoute une carte du Japon, deux éléments précieux pour se remettre dans le bain et situer les lieux clés de l’intrigue. Une attention rare et bienvenue, surtout dans un récit aussi dense et immersif.
Un polar inspiré du Japon des « jōhatsu »
Au centre du roman, un thème à la fois méconnu et bouleversant : celui des jōhatsu, littéralement « les évaporés ». Ces hommes et femmes qui, écrasés par le poids de la honte, des dettes ou de l’échec, choisissent de disparaître volontairement de la société japonaise.
Cyril aborde ce phénomène avec une sensibilité et une précision remarquables. Il interroge le besoin d’effacement, la disparition comme acte de résistance ou de survie dans une société où l’individu peine à exister.
Dans ce contexte, la Veuve blanche, tueuse en série disparue depuis des années, devient presque une figure mythologique : un fantôme issu d’un Japon malade de ses silences.
L’intrigue : entre passé et présent, entre réel et légende
Tout commence lorsqu’un youtubeur sensationnaliste ravive la légende urbaine de la Veuve blanche, une criminelle ayant terrorisé Tokyo au début des années 2000.
Lorsque de nouveaux meurtres surgissent, imitant son mode opératoire, Junichi Kudo, détective privé, reprend l’enquête. Son obsession le mène dans le monde clandestin des évaporés, ces disparus volontaires. Puis, à son tour, Kudo disparaît…
C’est alors qu’entrent en scène Hayato Ishida et Noémie Legrand, enquêteurs de la cellule Sakura, déterminés à le retrouver. Leur investigation les entraîne dans un Japon fracturé, tiraillé entre son passé et sa modernité, où chaque disparition révèle un pan d’une société en souffrance.
Un regard d’expatrié, entre lucidité et tendresse
Ce qui frappe dans ce roman, c’est la justesse du regard de Cyril sur le Japon. Loin des clichés touristiques, il offre une vision intime, nuancée, presque documentaire.
On sent l’observation de terrain, la connaissance du quotidien japonais, de ses codes, de ses non-dits.
Mais il y a aussi une vraie tendresse dans sa manière d’évoquer la solitude, la loyauté, le poids de la honte.
Les lecteurs attentifs s’amuseront à repérer quelques clins d’œil complices : des pseudos d’internautes, @Lebel_et_labête ou @Ronek_Olive, allusions transparentes à Nicolas Lebel et Olivier Norek, que tout amateur de thrillers connait.
Des personnages habités par leurs fantômes
Les personnages de Cyril ne sont jamais de simples archétypes de flics ou de tueurs.
Junichi Kudo est un homme abîmé, rongé par la culpabilité et l’échec. Hayato Ishida et Noémie Legrand forment un duo d’enquêteurs crédibles, complémentaires, que l’on prend plaisir à retrouver.
Quant à la Veuve blanche, elle plane sur tout le roman telle une ombre fascinante, à la fois troublante et magnétique. Elle semble avoir dépassé sa propre légende, devenue le fantôme d’un Japon qui engloutit ceux qu’il ne parvient plus à sauver.
Un style maîtrisé, à la croisée du polar et de la littérature japonaise
Cyril possède une plume fluide, précise, visuelle. Ses descriptions sont à la fois poétiques et nerveuses, alternant entre l’intensité du thriller et la lenteur contemplative d’un roman d’atmosphère.
Le rythme, bien que parfois ralenti au cœur du récit, trouve toujours sa justification : c’est le temps de l’attente, de l’observation, de la perte.
Le suspense est maintenu jusqu’à la dernière page.
Une construction temporelle savamment orchestrée
Cyril joue habilement avec le temps. Le roman alterne entre plusieurs temporalités, un choix narratif qui densifie l’intrigue et renforce le mystère.
Chaque époque dévoile un pan de l’histoire : les origines sanglantes de la Veuve blanche, les répercussions sur ceux qu’elle a brisés et les conséquences bien des années plus tard.
Ce va-et-vient temporel crée un effet de tension et de miroir, où le passé éclaire le présent et où chaque révélation vient redéfinir notre compréhension des personnages.
Cette construction maîtrisée donne au roman une belle épaisseur psychologique et émotionnelle, tout en maintenant le lecteur dans une attente constante.
Et si disparaître était une forme de survie ?
Ce que j’ai particulièrement aimé dans ce roman, c’est cette immersion totale au cœur du Japon contemporain, entre ses contrastes culturels, ses non-dits et ses zones d’ombre. Cyril nous fait voyager bien au-delà du simple polar : il nous pousse à réfléchir à notre propre rapport au monde, à la fuite, à la disparition.
L’intrigue, finement orchestrée, m’a tenue en haleine du début à la fin, mais c’est surtout l’originalité du sujet qui m’a profondément marquée. À travers ces évaporés, l’auteur interroge notre besoin de sens, notre manière de faire face à la douleur ou à l’échec. En refermant le livre, je me suis surprise à me demander : dans certaines situations, ne serions-nous pas tentés, nous aussi, de tout quitter, d’effacer nos traces ?
Ce roman nous renvoie une image troublante de nous-mêmes, à mi-chemin entre la peur du vide et le désir de recommencer ailleurs…
A lire absolument si vous aimez les enquêtes sensibles et les histoires qui font réfléchir autant qu’elles captivent.
« Il faut que tu aies un rêve. Quelque chose qui te feras te lever le matin, pour lequel tu te battras et qui te permettra de tenir, même quand tout s’effondrera autour de toi. »
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En bref…
Ce qui m’a poussé à ouvrir ce livre : l’auteur et le thème. J’étais curieuse de voir comment Cyril allait explorer le sujet des évaporés à travers un thriller.
Auteur connu : je suis Cyril depuis plusieurs années désormais. Retrouvez mes chroniques de : « La colère d’Izanagi », « Avant de sombrer », « Grand froid ».
Je le croise souvent dans les salons, la dernière en date étant aux Quais du Polar de Lyon en 2024.
Émotions ressenties lors de la lecture : fascination, curiosité, peur.
Ce que j’ai moins aimé : RAS
Les plus : la maîtrise de l’intrigue, le sujet, l’immersion, les personnages, la construction, la plume, la fin.
Si je suis une âme sensible : rien n’est gratuit, mais tout est ressenti. Cyril montre la noirceur sans complaisance, avec une vraie profondeur humaine.

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