« Une minute de silence » de Sophie LOUBIERE

Informations 

Titre : Une minute de silence

Auteur : Sophie Loubière

Éditeur : Dark Side

Nombre de pages : 224 pages

Formats et prix : broché 19.95 € / numérique 14.99 €

Date de publication : 2 avril 2025 

Genre : récit

Résumé

Le 17 novembre 2008, à l’Assemblée nationale, une minute de silence est observée en hommage à Jean-Marie Demange, député de la neuvième circonscription de Moselle. Quelques heures plus tôt, l’ancien maire de Thionville a pourtant tué son ex-maîtresse, Karine Albert, d’une balle dans la tête, avant de retourner l’arme contre lui. Mais, à la tribune, rien ne filtre de cette tragédie donnée en place publique, depuis le balcon d’un appartement.

Dix-sept ans plus tard, Sophie Loubière enquête sur ce drame tombé dans l’oubli….

Mon avis

Un hommage ambigu devenu enquête littéraire

Le 17 novembre 2008, une minute de silence est observée à l’Assemblée nationale en mémoire de Jean-Marie Demange, député de la Moselle. Ce jour-là, personne ne mentionne le drame qui vient de se produire : quelques heures plus tôt, l’ancien maire de Thionville a abattu son ex-maîtresse, Karine Albert, avant de retourner l’arme contre lui. La République rend hommage à un homme, sans nommer la femme qu’il a tuée.

Dix-sept ans plus tard, Sophie Loubière, décide de rouvrir cette blessure collective. « Une minute de silence » n’est pas un roman mais une enquête littéraire, nourrie d’archives, de témoignages et d’une réflexion profonde sur la mémoire, la justice et la responsabilité des institutions. Sophie redonne une voix à celle que l’histoire a effacée et dénonce le silence plus vaste encore qui entoure les féminicides.

Ce qu’il faut aussi souligner, c’est que « Une minute de silence » n’est pas une enquête journalistique visant à résoudre une énigme, mais bien l’interprétation de Sophie Loubière, sa manière de revisiter un drame collectif à travers son regard et sa sensibilité.
Elle reconstitue, cherche à comprendre, mais ne prétend jamais détenir la vérité.
On ressort de cette lecture avec sa vision des faits, son ressenti, et non avec des certitudes.
Dix-sept ans après, le mystère reste entier : on ne sait toujours pas ce qui a réellement motivé le meurtre de Karine Albert, ni le geste ultime de Jean-Marie Demange.
C’est peut-être d’ailleurs cette part d’inconnu qui rend le livre si troublant ; cette impossibilité de tout expliquer, même avec la meilleure volonté du monde.

Une lecture particulièrement marquante pour moi

Cette lecture a eu une résonance très particulière : je suis native de Thionville. J’ai connu Jean-Marie Demange, comme beaucoup d’habitants de la ville. J’ai vécu à distance, mais non sans émotion, la sidération qu’a provoquée ce drame.
Lire ce livre, c’est donc replonger dans une mémoire locale douloureuse, dans un épisode que la ville a préféré taire ou oublier.

Sophie Loubière, elle aussi originaire de la région, parvient à rendre à cet événement toute sa complexité, sans complaisance, sans caricature. Son regard n’est ni celui d’une étrangère, ni celui d’une juge : c’est celui d’une femme qui cherche à comprendre comment une communauté, une institution et un pays peuvent continuer à vivre avec un tel silence.

Une enquête humaine et nécessaire

Sophie mène son travail avec une rigueur journalistique et une écriture profondément littéraire. En ouverture, elle propose un plan des lieux, comme pour ancrer son récit dans le concret, situer chaque élément dans cette géographie du drame. Un plan qui devient presque un symbole de son approche : revenir sur les pas du passé, jusqu’à ce balcon où tout s’est joué.

Elle déconstruit l’idée commode de drame passionnel et replace les faits dans leur réalité : un féminicide. En questionnant la mémoire politique et médiatique, elle met à nu le paradoxe d’une société qui honore un meurtrier tout en oubliant sa victime. Ce livre ne juge pas, il cherche à comprendre et c’est justement ce qui lui donne toute sa force.

Une auteure qui se livre aussi

Ce qui rend cette enquête encore plus touchante, c’est la manière dont Sophie se met elle-même en jeu. Loin d’une enquête froide, elle tisse des liens entre sa propre histoire et celle de la famille Demange, évoquant avec pudeur ses souvenirs d’enfance et les échos familiaux que ce drame réveille en elle.

Elle parle notamment de son frère aîné, de la fragilité des liens, des silences qu’on porte en soi. Ce parallèle intime vient donner une épaisseur émotionnelle à son travail d’enquête. Sophie ne s’efface pas derrière le récit : elle avance avec ses propres failles, ses questionnements et cette sincérité rend le texte incroyablement juste.

Une plume sobre, habitée, profondément digne

On connaît Sophie Loubière pour ses thrillers psychologiques, mais ici, elle signe un texte d’un autre ordre : une œuvre de vérité.
Sa plume est sobre, claire, toujours pudique. Chaque mot semble pesé. On sent derrière la journaliste, la femme et la citoyenne : celle qui refuse d’accepter que l’histoire soit écrite par les seuls vainqueurs ou les plus puissants.

En fin d’ouvrage, elle propose une série de photographies, à la fois documentaires et sensibles, qui prolongent le texte par l’image. Ces clichés, discrets mais puissants, referment le livre sur une impression de silence réel, tangible, celui des lieux, des visages, des absences.

L’écho d’un échec

« Une minute de silence », c’est aussi la vision tragique d’un homme incapable d’affronter sa chute, pour qui l’échec social et personnel équivaut à une condamnation. Au-delà de ce destin individuel, Sophie nous pousse à réfléchir : dans une société qui glorifie la réussite, avons-nous encore le droit d’échouer sans perdre notre dignité ? Sophie ne cherche pas à excuser, mais à comprendre ce que le silence autour de l’échec,qu’il soit personnel, familial ou politique, peut engendrer de destructeur.

« L’échec, quels que soient la manière, le jour et l’heure où il survient, est une sentence dont on ne se relève pas. »

Une lecture qui remue la mémoire

Cette lecture m’a bouleversée, inutile de vous le dire.
Parce qu’elle ravive des souvenirs ancrés dans ma ville natale, parce qu’elle met des mots sur un malaise collectif et parce qu’elle replace enfin Karine Albert au centre du récit.
J’ai ressenti une colère calme, une forme de tristesse lucide, mais aussi une immense reconnaissance envers Sophie pour ce travail de mémoire.

Elle écrit pour réparer symboliquement une injustice : celle d’une femme doublement effacée, par la mort, puis par l’oubli.

Un message essentiel

À la fin du livre, Sophie rappelle aussi l’importance de parler de la détresse et du suicide, des drames intimes qui précèdent parfois l’irréparable.
Si vous ou quelqu’un de votre entourage traverse une période difficile, le 3114, numéro national de prévention du suicide, est accessible 24h/24 et 7j/7, gratuitement et en toute confidentialité.

Après le silence

« Une minute de silence » est bien plus qu’une enquête : c’est un acte de mémoire et d’humanité, une réflexion sur la fragilité et un hommage rendu à la victime oubliée.

Pour moi, cette lecture a eu une résonance intime : elle m’a ramenée à Thionville, à une époque et à des visages, mais aussi à la nécessité de nommer les choses, même celles qui dérangent.
Sophie, avec pudeur et force, nous rappelle que parler, c’est déjà réparer.

Un livre fort, sincère et profondément humain.
Je le recommande, pour ce qu’il raconte, mais surtout pour ce qu’il révèle de nous.

« L’élu déchu s’offre une dernière apparition fracassante, comme un baroud d’honneur adressé aux électeurs. C’est le premier décryptage que je fais de ce féminicide : une mise à mort en place publique, digne d’un tribun. »

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En bref…

Ce qui m’a poussé à ouvrir ce livre : lorsque j’ai appris que Sophie Loubière consacrait une enquête littéraire à ce drame, j’ai eu envie de comprendre comment elle, en tant qu’auteure, allait aborder ce sujet aussi sensible. J’ai assisté à une conférence de Sophie lors des Quais du Polar, en avril dernier. Elle m’a donné envie de lire son roman, et de découvrir sa version de cette histoire que je connaissais de loin, à travers les rumeurs et les journaux.

Auteur connu : retrouvez mes chroniques de « De cendres et de larmes » et « Obsolète ».

Émotions ressenties lors de la lecture : tristesse, nostalgie, colère, compassion, admiration.

Ce que j’ai moins aimé : RAS

Les plus : la précision du travail de recherche, la plume, la part personnelle de Sophie incluse dans le roman, les photographies en fin d’ouvrage. 

Si je suis une âme sensible : ce livre aborde un meurtre suivi d’un suicide et parle de détresse psychologique avec une franchise désarmante. Attention !

5 réflexions sur “« Une minute de silence » de Sophie LOUBIERE

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