Une bonne nuit et un petit déjeuner conséquent, me voilà prête pour cette seconde journée aux Quais du Polar !
Ce samedi matin, rendez-vous à 11h00 de nouveau au Théâtre des Célestins pour une rencontre exceptionnelle :
ROBERTO SAVIANO
La mafia napolitaine, lui, il connaît. Tellement bien, qu’il en est aujourd’hui la cible et vit sous escorte policière en permanence. Sa venue aux Quais du Polar n’est que plus exceptionnelle : Roberto Saviano ne se permet plus n’importe quelle apparition publique, depuis la parution de « Gomorra », en 2006, ouvrage qui décryptait le fonctionnement de la camorra napolitaine dans ses moindres détails, citant nommément des parrains comme le clan Casalesi. Le livre est un succès mondial et Saviano n’a pas pris l’habitude de se taire : que ce soit lors d’entretiens avec des journalistes, lors d’une seconde enquête choc parue en 2014 (« Extra pure : Voyage dans l’économie de la cocaïne »), il persévère. Il est même devenu le meilleur ennemi du ministre italien de l’Intérieur et d’extrême-droite, Matteo Salvini.
Résister à la mafia et à la corruption, tels sont les thèmes abordés lors de cette rencontre.
Étant placée au balcon hier pour la conférence de Brian di Palma, ce matin, j’ai fait le choix de me rendre plus tôt aux Célestins. Et j’ai bien fait, puisque j’étais au premier rang après les VIP, et de plus, d’après les copines sur site, c’était le gros bazar pour entrer au Palais. On a donc évité du stress et de l’énervement.
J’ai attendu 45 minutes au soleil, en me délectant du speech de l’animatrice de la Grande Enquête.
Les photos étaient interdites pendant la conférence.
Roberto Saviano sort « Baisers féroces » qui est la suite de « Piranhas », dont l’adaptation par Claudio Giovannesi a reçu le prix du meilleur scénario en février à la Berlinale. Il y poursuit son immersion dans le gang d’ado qui a sévit à Naples durant plusieurs années. Ce gang a en effet « géré » un trafic de drogue de plusieurs millions d’euros.
Roberto nous parle de sa démarche, du travail de documentation colossal, mais également de la réalité bien plus noire, sanglante et terrifiante que ses romans. D’ailleurs, cela a profondément vexé les « baby criminels » encore vivants, croupissant en prison. Ils n’ont aucune valeur de la vie. Au contraire, plus leur tableau de chasse est important, et mieux ils sont considérés dans le milieu.
Pour ces truands, qui gagnaient quand même 300 000 euros par mois à l’époque, Roberto est un looser. C’est un honneur de mourir jeune. Leur espérance de vie ne dépasse d’ailleurs pas 21 ans ! Ils assument totalement cette façon de vivre, leur horizon, c’est rafler tout ce qu’ils peuvent et mourir jeunes. « Tout prendre, tout jeter » : ils incarnent le capitalisme moderne.
Roberto s’adresse à nous, parents. Selon lui, il est inutile de faire croire à nos enfants qu’un monde juste existe. C’est totalement faux. Grâce à une réflexion très pertinente sur le système éducatif, il nous prouve que l’on prépare nos enfants à l’échec. Ce qu’il se passe à Naples, c’est en fait une métaphore universelle.
Selon la pègre, il existe deux catégories : les baiseurs et les baisés. Il faut choisir sa catégorie. Comment être sûrs que ces principes sont les principes de ce seul monde pourri ?
On vit dans un monde en guerre. C’est pour cela que le polar plaît autant. Il permet de s’exprimer sans médiation ni filtres. Les romans de Roberto sont un miroir très réaliste de ce monde camorriste, même s’ils portent atteinte à l’image de l’Italie.
Il est important de parler de ces problèmes. Si on ne parle pas des problèmes, ils n’existent pas. C’est bien plus facile de fermer les yeux, mais il faut affronter les menaces et les insultes !
Roberto a un projet, celui de lancer une collection de livres à l’automne. La ligne éditoriale de cette collection permettra le maintien de la liberté d’expression. Car cette liberté est loin d’être acquise définitivement. Il faut en prendre conscience. En Europe, on commence à tuer des journalistes (à Malte et en République Tchèque).
Roberto nous prévient également sur le fait que ce qu’il se passe en Italie, particulièrement avec le ministre Salvini, est le reflet de ce qui nous attend à moyen terme en France.
L’immigration, le crime organisé, la Camorra infiltrée partout, la manipulation, la corruption, sont autant de thèmes qui ressortent dans les romans de Roberto et qui ont été à la fois abordés, mais surtout approfondis durant cette heure exceptionnelle. Je crois que toute la salle buvait les paroles de Roberto, et l’émotion, palpable tout le long, a atteint son paroxysme à la fin, lors d’une standing ovation du tonnerre !
Pour Roberto, c’est une forme de résistance de participer à ces Quais. Je l’admire pour cela d’ailleurs ! Ce ne devait pas être un acte simple ! Lire est un acte de résistance. Les intellectuels sont désormais perçus comme des élites, et deviennent la cible de représailles systématiques. Tout ce mouvement d’hostilité ne leur permet plus de travailler sereinement et c’est dramatique. Les médias sociaux sont à privilégier pour communiquer, car la Camorra n’a pas (encore) la main dessus !
S’il n’y avait qu’une seule chose à faire durant ces Quais, c’était cette rencontre !
S’ensuivit une séance de dédicace, le monde était au rendez-vous…et moi aussi !
12h50, j’ai juste le temps de filer à mon rendez-vous suivant !
Voilà une expérience inédite ! Il fallait répondre à une simple question sur le type de polar que l’on appréciait le plus, et en fonction de notre réponse, cela nous sortait le nom d’un auteur ! On recevait son dernier roman pour le découvrir, et nous étions invités à le rencontrer lors d’un café privilège ce samedi à 13h00, dans un lieu tenu secret. J’avoue que toutes ces étapes distillées au compte goutte m’ont tenu en haleine pendant 15 jours !
Vous voulez savoir quel auteur m’a été désigné ? Il s’agit de
DOMINIQUE MAISONS
Un auteur totalement inconnu pour moi, et pourtant, il a un talent fou. Cet éditeur de presse, passionné de cinéma et de littérature populaire, de littérature américaine et d’intrigues complexes a reçu en 2011 le Grand Prix VSD du Polar pour « Le psychopompe » et le Prix Griffe Noire du Meilleur Roman Historique en 2016 pour « On se souvient du nom des assassins ».
J’ai reçu « Tout le monde aime Bruce Willis », son dernier roman, une dizaine de jours avant les Quais. Vous pouvez retrouver ma chronique en cliquant sur la photo :
Me voilà donc partie, direction la Péniche La Plateforme, située Quai Augagneur. Une nouvelle opportunité de découvrir un lieu stratégique de Lyon.
L’échange avec Dominique a été très intéressant. Une rencontre avec un auteur, c’est toujours la potentialité d’un moment riche, précieux. En effet, cela permet une meilleure compréhension de la création littéraire de l’auteur et de porter un regard plus global sur son œuvre, puisque nous avons pu dialoguer au sujet de son dernier livre, mais également des précédents.
Dans une ambiance conviviale et chaleureuse, c’était une petite bulle feutrée bien loin de la frénésie du Palais. La rencontre s’est achevée par une séance de dédicace.
De retour au Palais en début d’après-midi, on est reparti pour la chasse à la dédicace !!
Barbara Abel
L’une de mes auteurs préférés ! Elle fait partie de la Ligue de l’Imaginaire et ses romans sont traduits en allemand, en espagnol et en russe…
Camilla Grebe
Je n’avais pas eu le temps de la voir l’an passé. Cette suédoise à écrit plusieurs romans avec sa sœur, avant de se lancer en solo.
Emelie Schepp
Cette suédoise appartient à la nouvelle génération d’écrivains nordiques. « Marquée à vie« , le premier volume de sa série « Jana Berzelius »est distribué dans 27 pays à ce jour, et cette trilogie a conquis 200 000 lecteurs rien qu’en Suède.
Lina Bengtsdotter
Cette suédoise a connu un succès fulgurant en 2017 avec « Annabelle », son premier roman, qui a été vendu à 88 000 exemplaires en Suède et a été cédé dans 19 pays.
Maxime Chattam
Bon, je ne vous le présente pas ? C’était la cohue pour le voir. J’avais participé à cette grande aventure lors de sa dernière venue aux Quais, j’ai laissé ma place cette année !!
Nicolas Beuglet
Ravie de te retrouver cette année encore aux Quais.
Rachel Abbott
Auteure britannique de thrillers psychologiques que je n’ai jamais lue (honte à moi qui apprécie tant ce genre…). Elle a commencé sa carrière dans l’autoédition. Comme quoi !
Mo Malo et Ragnar Jonasson
Le roman « Mork » de Ragnar Jonasson, islandais, a été élu meilleur polar de l’année 2016 par le Sunday Express et le Daily Express.
Solène Bakowski et Amélie Antoine
Voilà un duo de choc et de charme ! Je les adore !
Sophie Chabanel
J’avais adoré « La griffe du chat » et son humour grinçant.
Val McDermid
Elle aussi, je l’avais loupée l’an dernier. Cette auteure écossaise a écrit plusieurs séries policières et développe des thèses féministes et engagées, bien souvent dans des milieux particulièrement glauques et violents.
Viveca Sten
Auteure suédoise, ces romans sont adaptés à la télévision. Il faut compter sur elle parmi les grands noms du polar international. Elle reposait son bras sur l’un de ses livres, car elle avait une tendinite au coude. Je ne sais pas si elle a été victime de son succès, mais la tendinite de l’écrivain existe peut être ! (J’aurai dû demander cela à Olivier Norek car il a fait un carton cette année !)
Une petite pause conférence pour couper l’après-midi :
Européennes 2019 : le scrutin noir
Avec Leif Davidsen (danois), D.B. John (britannique), Bogdan Teodorescu (roumain), Olivier Truc (français), Antti Tuomainen (finlandais).
Voilà une brochette d’auteurs européens qui vont mener un débat intéressant ! Pourtant, l’Europe, le Brexit, on ne peut pas dire que cela me passionne beaucoup. Mais à partir du moment où on parle roman et où la littérature s’infiltre dans le sujet, on peut me faire adorer n’importe quoi !!
Olivier Truc et Bogdan Teodorescu
D.B. John trouve les mots justes pour expliquer le Brexit de manière ludique : un puzzle énorme impossible à résoudre, une farce. Il rappelle que le but premier de la construction de l’Union Européenne était le maintien de la paix, de la sécurité et de l’humanité. Désormais, l’Europe est devenue toxique, de plus en plus extrémiste. Les britanniques attendent leur Napoléon, reste à trouver qui c’est !
Pour Bogdan Teodorescu et la majorité des roumains, entrer dans l’UE c’était Hollywood et la garantie d’une nette amélioration du confort de vie : avoir du chauffage dans les maisons par exemple. Cela peut nous paraître fou ! Mais pour la Roumanie, cela a permis de franchir des frontières jusque là hermétiques.
Leif Davidsen soulève la problématique géopolitique du Brexit par rapport au Danemark. J’avais oublié que le Danemark souhaitait sortir de l’UE en 1992 et avait procédé à un référendum. Le Brexit n’est qu’une première étape dans les multiples changement que va connaître le monde. Entre la crise migratoire, la Russie, le changement climatique, selon lui on a tous les pieds dans la boue ! Pas de deal possible, ce sera le pire pour tout le monde. Seule note positive : les écrivains auront de la substance pour nourrir leur imagination et écrire !
Il est vrai que vue la petitesse du Danemark, s’il n’existe plus d’UE, le risque de se faire écraser par d’autres pays est bien réel.
Bien que français, Olivier Truc vit en Suède. Il apporte donc un œil double sur ces deux nations, ainsi que les motivations économiques de l’entrée de la Suède dans l’UE, bien loin de l’idée de paix de départ. En effet, avant son entrée dans l’UE, la Suède connaissait une crise économique majeure, avec, entre autre, un taux de chômage qui a explosé, passant de 2 à 10 % !
Il pointe le doigt sur le Groenland (tiens, que vient faire le Groenland là-dedans ?) : ce territoire, entré dans l’UE en même temps que le Danemark, en est ressorti, suite à un référendum (j’aurais mieux fait d’écouter mes cours d’histoire, à l’époque !). Il est donc possible de sortir de l’UE.
D.B. John nous livre son expérience dans des pays totalitaires, notamment en Corée du Nord. J’avoue que ce qu’il nous a confié m’a glacé le sang : il n’y aucun concept de droit de l’humanité, aucune vie privée, la tyrannie est présente H24 (cela, tout le monde le sait). Mais ce qui est terrible, c’est que là-bas, les gens ne peuvent dire à personne ce qu’ils pensent. Il faut toujours dissimuler et rester sur ses gardes. Même aux propres membres de sa famille !!!! On peut très bien finir en prison après un repas de famille où l’on a un peu trop « piaillé » !
Antti Tuomainen
Heureusement que le finlandais Antti Tuomainen est là pour nous faire un peu sourire, sinon, on irait tous se pendre à l’issue de la conférence ! En effet, il marie à la perfection roman noir et humour. Il n’a rien de drôle à dire sur l’Europe et l’état actuel du monde (au secours, même lui !!). Mais il ressent le besoin de légèreté et cela se répercute dans ses romans. Tout le monde a besoin de rire, surtout à l’époque actuelle !
Terminons sur cette citation reprise par Bogdan Teodorescu :
« Qu’est ce qui est petit, noir et qui frappe à la porte ?
Le futur. »
Malgré le pessimisme qui ressort de cette conférence, j’ai passé un excellent moment. J’ai découvert des auteurs totalement inconnus (mis à part Olivier). Ils m’ont donné envie de découvrir leurs romans. Et finalement, se replonger dans le contexte historique m’a permis de mieux comprendre les enjeux du Brexit.
Ouh là là, il est déjà 18h00 ! J’ai un rendez-vous très spécial : j’ai été invitée par Lilas Seewald, directrice littéraire des Éditions Bragelonne, à boire un verre en compagnie de Johana Gustawson.
Et là, c’était du bonheur en barre !!!
Lilas en a profité pour nous annoncer une excellente nouvelle : Johana va sortir son prochain roman à la rentrée. Inutile de préciser que je l’attends comme le Messie !
On a tous pris des crampes aux zygomatiques, c’était une vraie joie pour nous tous de se retrouver. Cette soirée m’a permis de revoir de nombreux amis, lecteurs, auteurs, blogueurs, libraires.
Voilà cette seconde journée s’achève. Aussi intense que la première, sinon plus. Que va me réserver la dernière journée ?
Retrouvez mes autres articles sur les Quais :
« Quais du polar » 29 – 30 – 31 mars 2019 Jour 1 : 29 mars 2019
« Quais du polar » 29 – 30 – 31 mars 2019 Jour 3 : 31 mars 2019
Merci pour ce beau compte rendu Sonia
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Avec plaisir ! Bonne journee 😉
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belle journée à toi aussi
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