Titre : Les exportés
Auteur : Sonia Devillers
Éditeur : Flammarion
Nombre de pages : 288 pages
Formats et prix : broché 19 € / numérique 13.99 €
Date de publication : 31 août 2022
Genre : témoignage
Ma famille maternelle a quitté la Roumanie communiste en 1961. On pourrait la dire « immigrée » ou « réfugiée » . Mais ce serait ignorer la vérité sur son départ d’un pays dont nul n’était censé pouvoir s’échapper. Ma mère, ma tante, mes grands-parents et mon arrière-grand-mère ont été « exportés » . Tels des marchandises, ils ont été évalués, monnayés, vendus à l’étranger. Comment, en plein cœur de l’Europe, des êtres humains ont-ils pu faire l’objet d’un tel trafic ? Les archives des services secrets roumains révèlent l’innommable : la situation de ceux que le régime communiste ne nommait pas et que, dans ma famille, on ne nommait plus, les juifs.
Moi qui suis née en France, j’ai voulu retourner de l’autre côté du rideau de fer. Comprendre qui nous étions, reconstituer les souvenirs d’une dynastie prestigieuse, la féroce déchéance de membres influents du Parti, le rôle d’un obscur passeur, les brûlures d’un exil forcé. Combler les blancs laissés par mes grands-parents et par un pays tout entier face à son passé.
RENTRÉE LITTÉRAIRE 2022
Ce récit est une plongée historique dans la Roumanie de l’après-guerre. Harry et Gabriela, les grands-parents de Sonia étaient membres haut placés du parti communiste roumain. Leur seul « tare » : être juifs, même s’ils sont juifs non observant. Lorsqu’ils sont évincés du parti, ils n’ont plus rien, et pas d’autre choix que fuir. Pour tenter de quitter la Roumanie, ils font confiance à Henry Jacober, un passeur juif anglais, spécialisé dans l’import-export. Grâce à lui, ils réussiront à franchir le Rideau de fer et à gagner Paris. A quel prix ? Cela, ils ne le sauront jamais. C’est Sonia qui, au cours de ses recherches, va découvrir l’innommable : pour renflouer les caisses du régime, la Roumanie, exsangue, a fait le choix de vendre ses juifs contre du bétail, ou du matériel agricole, de manière « artisanale » dès la fin des années soixante, puis contre des dollars, de façon bien plus organisée, sous le règne de Ceaucescu, et ce pendant plusieurs dizaines d’années.
« A chaque liste de noms, il ferait correspondre des lots de bestiaux. Les camarades les plus difficiles à négocier seraient échangés contre des cheptels plus onéreux ou alors contre de plus gros troupeaux. »
Une histoire qui fait froid dans le dos. Les chiffres témoignent et sont effroyables : 750 000 juifs roumains avant-guerre, exterminés, déportés, exportés, vendus, seuls 10 000 vivaient encore en Roumanie lors de la chute du communisme.
Le fil rouge de ce roman est l’indifférence. Sonia va tenter de découvrir ce qui se cache derrière cette indifférence. Car ses grands-parents n’ont jamais raconté dans le détail ce qu’ils ont vécu en Roumanie. Le pire a toujours été caché, les rafles, la déportation possible, les pogroms. Pas de mensonges, mais l’éviction de l’horreur. Tout est dénué d’affect. Gabriela raconte la culture roumaine, les expositions, les livres, les paillettes, les vacances à la montagne, l’opulence. Elle cache le fait que les juifs sont harcelés, emprisonnés, que la Transnistrie est devenue le dépotoir ethnique de la Roumanie communiste.
« J’ai entendu parler un peu, enfant, de la Garde de fer, de sa révolte, de la rafle de mon grand-père. Mais les mots étaient lisses. Les mots étaient vides. Les mots étaient prononcés d’un ton détaché. Ils plantaient le décor sans aucune émotion. Une anecdote de plus. Sans plus. Mes grands-parents ont tout vécu, presque tout dit, mais c’est comme s’ils n’avaient rien senti. »
Sonia nous propose une immersion en plein cœur de l’antisémitisme roumain. A travers la vie de sa famille, le récit de Sonia est une réflexion émouvante sur la mémoire, la transmission et l’Histoire. Elle explique comment la Shoah a été totalement occultée, effacée, en Roumanie. Elle remonte le fil jusqu’à l’origine de ce drame humain, sans se laisser submerger par l’émotion, ce qui est loin d’être le cas du point de vue du lecteur.
Personnellement, j’ai lu ce livre avec un poids sur le cœur et l’âme. Sonia utilise le « Je », considérant à juste titre, que c’est son histoire, et cela rajoute une dimension émotionnelle exceptionnelle au texte. Je connaissais les grandes lignes de ce « troc », mais j’ignorais quantité de détails. C’est une histoire totalement vertigineuse du point de vue moral, à plusieurs reprises j’ai posé le livre, j’ai réfléchi à tout cela et je me suis dit « C’est insensé ». Le régime roumain a été pris dans un engrenage où il a perdu toute forme de valeur, de jugement et de rationalité.
La plume de Sonia est délicate, riche et sensible. Elle n’écrit pas « Les exportés » d’un point de vue journalistique, elle ne se laisse pas déborder par son métier. Et elle réussit, malgré le tragique du procédé, à sortir le côté comique et absurde de la chose. Les chapitres sont courts, « Les exportés » se lit bien, trop bien. C’est un témoignage essentiel sur un pan de notre histoire. Un génocide qui n’est pas suffisamment développé dans les livres d’histoires. Henry Jacober est loin d’être un Oskar Schindler, il s’est enrichi sur le dos des juifs, ce n’est pas à nier, mais beaucoup de familles ont réussi à quitter la Roumanie pour une vie meilleure, grâce à lui. Son marché était inhumain, mais il était réglo. Chaque famille a été accompagnée jusqu’à la gare de l’Est à Paris, personne n’est resté coincé aux postes frontières, comme nous le décrit Sonia lors du voyage de ses grands-parents.
Ce livre est à découvrir absolument, pas besoin de lire un thriller mettant en scène un serial killer pour Halloween….La réalité permet bien suffisamment de frémir, de glacer le sang et de nous faire faire des cauchemars. A votre avis, combien vaut la vie d’un homme ? Quel est le prix de sa liberté ? Jouons à un jeu….Imaginez-vous, dans les années 60, en Roumanie. Vous êtes juif, vous devez absolument quitter le pays pour ne pas finir emprisonné. A combien de porcs Landrace évaluez-vous votre salut ?…
« Ils n’ont pas fui, on les a laissés partir. Ils ont payé pour cela une fortune. Des papiers leur ont été accordés, puis retirés, puis finalement accordés. Ils ne voulaient pas quitter leur pays. Ils ne voulaient pas, mais ils n’avaient plus le choix. A chaque arrêt, chaque poste-frontière entre la Roumanie et la France, ils ont cru que le train ne repartirait jamais. Le 19 décembre 1961, pourtant, Harry et Gabriela Deleanu, leurs deux filles et une grand-mère réussirent à atteindre Paris. Ils avaient franchi le Rideau de fer sans cesser de se retourner. »
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Ce qui m’a poussé à ouvrir ce livre : la conférence bouleversante à laquelle j’ai assisté à la Fête du Livre de Saint-Étienne m’a poussé à découvrir ce roman de Sonia.
Auteur connu : je connais Sonia par son émission sur France Inter. « Les exportés » est son premier livre.
Émotions ressenties lors de la lecture : la palette des émotions est riche. Peur, angoisse, révolte, honte, colère.
Ce que j’ai moins aimé : RAS
Les plus : le sujet, les recherches, les faits exposés sans filtre, la plume.
Si je suis une âme sensible : un roman fort et poignant, mais pas de violence gratuite.
Beau témoignage et en plus tu fais toujours de bon commentaire et résumé. Merci. Bonne fin de journée. Bises
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Tellement bien commenté … bravo. Je lis ce récit d’une petite-fille à la recherche du passé de ses grands-parents, après celui de la Carte Postale, qui évoque aussi la quête de vérité de la part d’Anne Berest pour ce qui concerne ses ancêtres, en proie à l’antisémitisme, ce sont des cheminements parallèles, Sonia Devillers ici ouvre une fenêtre sur ce que fut ce troc inimaginable entre des Juifs et des porcs, bien des années après la fin de la guerre. Livre saisissant , qui nous éclaire sur le côté obscur de l’âme humaine, victime de ses démons antisémites.
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