Présentation de l’auteur :
Jacques Vazeille est pédopsychiatre et spécialiste de l’autisme. Formé à la psychanalyse, il a été sollicité il y a vingt ans pour accompagner la création d’une école pour enfants autistes. Ces enfants ont grandi. Il a donc fallu créer un établissement pour adolescents. Les plus âgés vivent aujourd’hui dans un foyer pour adultes. Ces vingt années de découverte, de questionnement et d’émerveillement, ont été le terreau de son livre, « Murs » (2015). Jacques Vazeille est psychiatre référent à l’IME (Institut Médico Éducatif) Les Dauphins et à l’IME Maison d’Aix et Forez.
Bibliographie :
Tout d’abord, merci Jacques d’avoir accepté mon invitation.
C’est moi qui vous remercie de m’accueillir.
Vous êtes pédopsychiatre spécialisé dans l’autisme. Comment est venue l’envie d’écrire un livre sur ce sujet ?
En effet je suis pédopsychiatre, et c’est par hasard que je suis tombé dans l’autisme alors que je m’en suis tenu longtemps à l’écart. Au printemps 1994, j’étais à mon bureau quand le téléphone a sonné. Le père d’une petite fille autiste voulait créer une classe pour enfants autistes, et il me disait qu’il avait besoin de moi.
Un pédopsychiatre dans une classe ? Un instituteur, ce serait plus adapté me semblait-il. Nous avons beaucoup parlé et j’ai fini par accepter d’accompagner cette aventure pendant un an. C’était en 94, et, j’y suis encore. Au début, je n’y connaissais pas grand-chose et l’autisme était pour moi très mystérieux. Aujourd’hui, je ne suis certainement pas un spécialiste. J’ai en tout cas acquis une multitude d’interrogations sur cette manière insolite d’être au monde.
À l’origine de ce livre, « MURS », il y a eu une rencontre avec un jeune homme autiste. Son extrême destructivité avait mis en échec toutes les tentatives d’accueil en foyer, et il était chez nous, dans le beau foyer tout neuf que nous venions d’ouvrir. C’est ainsi qu’est née l’idée du mur en carton, à construire, à détruire et à reconstruire… Des collègues m’ont alors encouragé à écrire un article à ce propos pour une revue scientifique. Sans conviction, j’ai essayé. C’était mauvais et sans intérêt. Mais le projet d’écrire était lancé, et Mine, la gamine délurée, s’est installée dans ma tête, et a donné vie à cette histoire.
Quelle a été la phase la plus difficile dans cette écriture ?
Pour moi, c’était une première fois. Tout était incroyablement difficile et passionnant. Toutes mes tentatives d’écriture précédentes avaient lamentablement avorté. Cette fois ci, sans savoir pourquoi, j’étais certain d’aller au bout. Il n’y a pas une phrase que j’ai triturée trois fois, cinq fois, dix fois. J’y passais mes jours et mes nuits, sans penser à autre chose. Et un jour, j’ai mis le point final. L’histoire était pour moi, terminée. Hors de question d’y changer une virgule.
Avez vous trouvé facilement trouvé un éditeur ?
J’étais évidemment persuadé d’être à moi tout seul, Victor Hugo, Marcel Proust et Marguerite Duras réunis. J’ai vite déchanté et la juste réalité s’est imposée. Ma parfaite ignorance des règles et usages dans cette jungle de l’édition n’a rien facilité. Il est sûr que je ferai autrement la prochaine fois… Je ferai d’autres erreurs sans doute.
Finalement, vos personnages, Mine, 12 ans, et Samson, 25 ans, autiste, ont des points communs qui vont leur permettre de nouer une relation communicante. Cela arrive t il souvent ?
Une idée reçue prétend que les autistes restent enfermés dans leur monde et ne communiquent pas. Parmi les critères en vigueur pour un diagnostic d’autisme, il y a nécessairement un trouble de la communication. Et pourtant, depuis que je fréquente des personnes autistes, je mesure chaque jour combien elles sont avides de contacts sociaux, d’échanges et de communication. Mais elles ne s’y prennent pas du tout comme nous et notre façon de communiquer est, de leur point de vue, tout à fait terrifiante. Rencontrer un autiste suppose d’abandonner les codes habituels et de se laisser atteindre par cette messagerie déroutante et exotique. C’est ce que j’ai essayé de décrire dans l’attitude de Mine, à la fois totalement ouverte, curieuse et sans préjugés.
Il n’existe pas un seul autisme, mais plusieurs, c’est bien ça ?
On parle volontiers aujourd’hui de spectre autistique. Il est vrai qu’il y a toutes sortes d’autistes. Joseph SCHOVANEK féru de culture et de perse ancien, parcourt le monde et fait des conférences passionnantes à peu près dans toutes les langues. Ses facultés intellectuelles sont impressionnantes. Il n’en est pas moins autiste, et je ne vois pas en quoi je pourrais lui venir en aide. Les niveaux de performance cognitive sont, chez les autistes, encore plus disparates que chez les non autistes. On peut même admettre qu’un déficit cognitif majeur ou un déficit sensoriel puisse entraîner, par une incompréhension massive du monde environnant et des interactions sociales, un syndrome de retrait d’allure autistique. Pour beaucoup d’autistes, le langage parlé est difficilement compréhensible, et certains ne l’utilisent pas du tout. Ce sont les autistes non verbaux. Il est évident que ce sont ces autistes-là, souvent très déficitaires, qui ont le plus besoin de notre aide, et c’est pour eux qu’ont été créés les établissements dont je m’occupe.
Pensez vous que le diagnostic et surtout la prise en charge de l’autisme en France est efficiente ?
Il est évident que les progrès dans la reconnaissance du trouble autistique sont considérables, de même que les progrès dans l’accompagnement des personnes autistes. Et ceci à l’intérieur de toutes les chapelles qui, à mon goût, passent bien trop de temps à se combattre les unes les autres alors que le chantier est immense.
Les préjugés dont souffrent les personnes autistes sont autant de murs qui cloisonnent nos certitudes. Dans votre livre, on se demande qui construit ces murs….C’est important à vos yeux que le regard de notre société change ?
La personne autiste, tout comme la personne non autiste a des chromosomes, des gènes, une famille, une préhistoire, une histoire, un environnement… Tout comme les autres, elle est le résultat de cette complexité. Et bien fou serait celui qui voudrait changer sa nature. La seule chose vraiment importante est, selon moi, de considérer toutes les potentialités qui sont là, dans cette bizarre façon d’être au monde.
Je vais prendre une image. J’habite dans un petit village et chaque matin, je vais acheter mon pain en vélo. Un autiste à ma place n’aurait pas d’autre moyen de se déplacer qu’un semi-remorque de 35 tonnes. Aller chercher son pain avec un semi-remorque de 35 tonnes, c’est possible. Pas facile, mais possible. Il est vrai aussi que si les rues de mon village étaient conçues pour la circulation des gros camions, et que si tout le monde avait son 35 tonnes pour faire ses courses, j’aurais les pires difficultés avec mon petit vélo.
Le Ministère de la Santé a établi un troisième Plan Autisme (2013-2017), ayant pour but, notamment, un diagnostic plus précoce et une meilleure inclusion sociale des patients. Vous qui évoluez sur le terrain, au cœur du problème, quel pourrait être votre bilan ?
Je ne veux pas terminer cet entretien sans évoquer un sujet essentiel selon moi. Cette façon de penser si différente de la nôtre, cette lucidité étrange et sidérante de la personne autiste, exercent sur nous, les neurotypiques comme ils disent entre eux, une fascination absolue. Notre manière d’être, perçue par la personne autiste comme invigorante et totalitaire, l’incite à une distance prudente, et dans tous les cas à une grande docilité. Ces dispositions réciproques ont eu pour conséquence, l’émergence de théories sur la nature, l’origine et l’approche du phénomène autistique proches de la croyance, au risque du délire, et, bien sûr, s’excluant l’une l’autre. L’essentiel se résume chez nous à une guerre imbécile et sans fin entre les comportementalistes et les psychanalystes, les tenants de la génétique et les adeptes de la psycho-dynamique…
Le mot de la fin est pour vous :
En près de 25 ans de fréquentation d’enfants et d’adultes autistes, je suis parvenu moi aussi à une croyance en attendant d’être démenti : il n’y a pas un autisme mais des autismes. Et chaque théorie, chaque discipline a son intérêt et son utilité. Elle a aussi ses limites. J’ai fait moi-même les frais d’oukases et d’excommunications et cela continue encore. J’en suis venu à penser que cela fait partie de mon travail. Il est naturel pour moi de me référer selon les cas et les circonstances à la psychanalyse, au behaviorisme, aux sciences de l’éducation, à la pédagogie, sans oublier les apports de la génétique, des neurosciences, de la pharmacologie, etc. J’ai la conviction que chaque tentative de faire rentrer à toutes forces une personne autiste dans un unique schéma explicatif relève de la maltraitance. C’est contre tous ces aveuglements que j’entends continuer à me battre. J’espère avoir réussi avec « MURS » une illustration convaincante.
Jacques Vazeille sera présent en dédicace les 13 et 14 mai 2017 au salon du livre de Boen (entre Roanne et St Etienne)
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